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LE COURRIER DE ROCHEBRUNE

deviendrions-nous, si nous nous trouvions jamais face à face avec les huit femmes sans tête dont la vue glaça d’horreur Anne, ma sœur Anne, et sa tremblante sœur ?… Nous n’aurions pas même la ressource d’appeler à notre secours les quatre lycéens dont Valentine veut sans cesse nous narrer les prouesses.

» Que n’es-tu là, toi, papa aimé, avec ton grand sabre et toute ta panoplie. J’entends d’ici que tu te moques de moi et de mes sottes frayeurs ; c’est pour rire, va, la fille de mon père ne peut pas avoir peur !

» Voilà bien des pages que je barbouille pour ne pas t’apprendre grand chose. J’ajouterai donc que le château est magnifique ; le parc grand à s’y perdre, très peu soigné, mais il n’en est que plus charmant ; Mlle Favières, très bonne pour nous ; je l’aimerais beaucoup si ce n’était qu’elle tient essentiellement à nous faire travailler (ce qui est l’abomination des abominations, puisque nous sommes en vacances !) que je cours et danse dans le jardin chaque fois que je puis lui échapper ; que ces demoiselles sont assez gentilles pour que nous fassions de bonnes parties ensemble, et que, si tu pouvais venir me chercher, nous ferions de belles excursions tous les deux. À quoi ça sert, les montagnes, quand on ne grimpe pas dessus ? Nous avons beau être perchées assez haut sur notre mont, nous sommes entourées de montagnes encore plus hautes que je voudrais gravir… Au fait, je ne détesterais pas d’y aller en ballon, parce qu’en montagne, ce qui est ennuyeux, c’est d’être obligé de toujours redescendre pour remonter.

» Mais je bavarde, je bavarde, et voilà qu’il va falloir mettre une demi-douzaine de timbres à ma lettre. Heureu-