Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh non ! et son visage est devenu si triste, si mélancolique, que je me suis juré de lui baiser la main dès ce soir. »

On allait partir ; en aidant la jeune princesse à se placer dans sa voiture, j’ai porté rapidement sa petite main à mes lèvres ; il faisait sombre et personne n’a pu nous voir.

Je suis revenu dans le salon très satisfait de moi.

Autour d’une grande table, les jeunes gens soupaient, et au milieu d’eux Groutchnitski. Lorsque je suis entré, tous se sont tus ; évidemment on parlait de moi. Beaucoup, depuis le bal, me boudent et particulièrement le capitaine de dragons. Il paraît qu’ils ont décidément organisé contre moi un complot sous le commandement de Groutchnitski. Aussi a-t-il l’air insolent et brave. J’en suis très heureux ; j’aime me savoir des ennemis, quoique ce ne soit pas très chrétien ; cela m’amuse et fouette mon sang. Se tenir sur ses gardes, surprendre chacun de leurs regards, deviner chacune de leurs paroles, pénétrer leurs intentions, faire avorter leurs projets ; feindre d’être trompé, et soudain faire crouler d’un seul coup, cet énorme édifice, qui leur a donné tant