Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sérieux de convention, il retourna à sa place.

Ivan Ignatiévitch embrassa aussi en pleurant Groutchnitski et alors il resta seul devant moi. J’ai tâché depuis de m’expliquer les sentiments qui bouillonnaient dans mon âme en ce moment. Il y avait le dépit que donne l’amour-propre blessé, le mépris et la colère. Je ne pouvais m’empêcher de penser que cet homme, qui maintenant me regardait avec une telle confiance et avec une tranquille audace, deux minutes avant, sans s’exposer lui-même à aucun danger, avait voulu me tuer comme un chien ; car si j’avais reçu une blessure plus grave à la jambe, je serais allé rouler inévitablement sur les rochers.

J’examinai son visage quelques instants avec beaucoup d’attention, m’efforçant d’y découvrir quelques traces de repentir. Mais il me sembla au contraire le voir dissimuler un sourire.

— Je vous invite à prier Dieu avant de mourir ! lui dis-je alors :

— Ne craignez pas plus pour mon âme que pour la vôtre. Je vous en prie, tirez plus vite.

— Vous ne voulez pas rétracter vos calomnies ? Vous ne voulez pas me faire des excuses ?