Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/56

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Et il arriva que j’avais dit vrai. Les présents ne produisirent aucun effet, et même elle avait été auparavant plus affable et plus confiante ; si bien qu’il se décida pour un dernier moyen. Un matin, il fit seller son cheval, se vêtit en Circassien, s’arma et vint la trouver :

« Béla, lui dit-il, tu sais combien je t’aime ; lorsque je t’ai enlevée, je pensais qu’un jour tu me connaîtrais mieux et m’aimerais. Je me suis trompé ; adieu ! Reste maîtresse entière de tout ce qui m’appartient ici, ou, si tu veux, retourne chez ton père ; tu es libre ! J’ai de grands torts envers toi, et je dois me punir moi-même. Adieu ! je pars ! où ? pourquoi ? je ne le sais ! Peut-être ne serai-je pas longtemps sans recevoir quelque balle ou quelque coup de sabre. Alors, souviens-toi de moi, et pardonne-moi ! »

Et se détournant, il lui tendit la main en signe d’adieu. Elle ne prit pas sa main et resta silencieuse. J’étais appuyé contre la porte et je pus examiner par une fente le visage de Béla. Elle me fit pitié ; tout son joli visage si mignon était couvert d’une pâleur mortelle. N’entendant pas de réponse, Petchorin fit quelques pas vers la porte ; il tremblait, et je vous dirai même qu’il