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BALAOO

qui dit la bonne aventure pour trois sous. Son seul voisinage les épouvante, parce qu’elle leur a raconté qu’un soir qu’elles travaillaient toutes autour de l’âtre, les brodeuses étaient allées au sabbat sans s’en apercevoir. Mais elle, qui était là, la mère Pâques, s’en était bien aperçue ! Elle leur avait parlé et elles, les brodeuses, ne lui avaient pas répondu. Alors, elle les avait touchées du doigt les unes après les autres, sur leurs escabeaux, et tous leurs vêtements s’étaient affalés, étaient tombés, vidés des corps qu’ils habillaient ordinairement : parce que les corps n’étaient plus là. Ce n’est qu’à une heure du matin sonnant que les vêtements s’étaient redressés sur les escabeaux, preuve que les corps étaient revenus. Et, dame, comme elles s’étaient quasi endormies sur l’ouvrage entre minuit et une heure, les commères étaient effrayées naturellement de ce qu’elles avaient bien pu faire chez le diable pendant ce temps-là ! et on n’avait plus jamais invité à la veillée la mère Pâques, à cause de cette histoire qu’après tout elle n’avait peut-être pas inventée.

Il y a grande chambrée au complet chez Mme  Roubion pour la dernière veillée de la robe de l’Impératrice. C’est dans la vaste salle à manger d’été, réservée dans la belle saison à MM. les voyageurs de commerce, condamnée l’hiver, que les brodeuses travaillent. La robe merveilleuse est étalée tout au large sur les rallonges de la table d’hôte, et chaque ouvrière prend sa place. Il y en a deux qui font les œillets, une autre les pois, une autre achève une rosace, une autre travaille aux festons et deux « mêmes mains » font une application de vieilles dentelles. Mme  Toussaint, la mère commère, veille à tout et houspille toutes. Mme  Roubion, tête énorme