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BALAOO

servir. Il vida le verre, s’essuya les lèvres d’un coup de sa manche, et, tourné vers Blondel :

— En voilà encore un, monsieur le Maire, qui n’a pas digéré le dernier ballottage !… Seulement, mon gros, faudrait voir… ça va bien en réunion électorale de se traiter de crapule… maintenant faudrait se fiche un peu la paix… s’pas, M’sieur le Maire ?

M. Jules, très embarrassé, fit entendre un grognement inintelligible.

Le commis-voyageur n’avait pas bougé. Il continuait à regarder l’homme roux aux yeux verts avec obstination et déplaisance. Hubert se leva et tendant la main à Blondel :

— Allons ! sans rancune ! Chacun travaille pour son patron, quoi !… Toi, pour le roi, moi, pour le président de la République ! Si jamais t’as besoin d’un bureau de tabac !…

Blondel descendit sans se presser du billard, haussa les épaules, tourna le dos et gagna l’office.

— Monsieur le Maire, fit Hubert, d’une voix sourde, je vous prends à témoin : voilà comment on traite ici les bons républicains ! Mais il me revaudra ça aux prochaines élections ! rien de perdu… Je marque tout sur mes petits papiers, bien que je sache pas écrire !… Vous entendez, vous autres, qu’aviez l’air de rigoler, tout à l’heure…

Le cynisme avec lequel il mettait, d’un mot, le Maire de son côté, comme si celui-ci, après les promiscuités du vote, devenait nécessairement son complice et son ami, faisait couler des gouttes de sueur au front dénudé de M. Jules.

L’homme jeta quatre sous sur la table et retourna à