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BALAOO

tonnerre. Et, soudain, le tonnerre éclata[1] et si furieusement que Madeleine, défaillante, gémit :

— Mon Dieu ! qu’est-ce qu’on lui fait ? Balaoo n’a jamais tonné si fort !

Et comme, dans le même moment, des coups de feu se firent entendre sous bois avec des clameurs, les deux femmes se jetèrent dans les bras l’une de l’autre, épouvantées, balbutiant : « Balaoo ! Balaoo ! » Une nouvelle décharge lointaine les galvanisa, les jeta hors la chambre comme des folles, traversant toute la maison et courant à la tour dont elles escaladèrent l’escalier branlant en appelant le docteur. On tuait Balaoo ! Les hommes tuaient Balaoo !

Elles firent irruption dans le belvédère, au milieu duquel le vieil original s’agitait comme fauve dans une cage, se précipitant d’une vitre à l’autre, les poings crispés, la bouche ardente. Coriolis, étouffant, avait arraché sa cravate, son faux-col, sa chemise, et, de temps à autre, quand les coups de feu retentissaient à nouveau au cœur des bois sombres, ses ongles allaient ensanglanter sa poitrine nue. Il râlait, les yeux hors des orbites.

— Ils vont me le tuer !… Ils vont me le tuer !… Ah ! les bandits !… les assassins !… les hommes !…

Sa rage souveraine ne trouvait point d’expression plus forte, et, du reste, n’en cherchait pas. Elle s’y tint : « les hommes, les hommes ».

Était-ce possible, cela, qu’ils allaient détruire son

  1. De l’avis de tous les voyageurs qui ont entendu l’orang-outang dans la forêt vierge, on ne peut comparer sa voix de tonnerre qu’à l’éclat de la foudre et au grondement du tonnerre. Un orang-outang furieux fait entendre à plusieurs kilomètres à la ronde un bruit d’orage, auquel plus d’un chasseur inexpérimenté s’est trompé tout d’abord.