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BALAOO


    « Ces quelques détails, que la publication des travaux du professeur compléteront avant peu, suffisent à montrer dans quelle mesure il a résolu la question que se posent depuis longtemps les zoologistes : les singes parlent-ils ?

    « Une constatation qui mettra tout le monde d’accord, c’est que ce minimum de vingt-quatre mots est suffisant pour assurer au grand primate africain une supériorité écrasante sur toutes les autres espèces animales, mammifères ou oiseaux, dont les mieux doués ne peuvent demander à leurs organes vocaux qu’une dizaine de sons distincts pour exprimer leurs sensations diverses.

    « Le professeur Garner ne se contenta point de ces recherches linguistiques. Il s’était aussi imposé la tâche d’étudier la mentalité des grands singes africains, de rechercher si l’instinct spontané est le principal moteur de leurs actions ou si, au contraire, l’éducation joue un rôle important dans l’évolution de leurs facultés et de leurs habitudes. Sur ce dernier point, il répond encore par l’affirmative. C’est par l’exemple que le jeune singe s’instruit, qu’il apprend à lire le grand livre de la jungle. Et l’exemple prend souvent la forme de la correction corporelle ! Un marmot de chimpanzé, qui ne répond pas correctement à sa mère, reçoit une dégelée de taloches destinées à le faire réfléchir.

    « M. Garner complète actuellement ses observations en expérimentant sur la demi-douzaine de chimpanzés qu’il a rapportés du Congo. Susie, son élève de prédilection, l’enthousiasme par son intelligence, qu’il déclare être supérieure à celle d’une fillette de quatre ans, quoique l’aimable primate ne soit âgée que de quatorze mois. Il lui a donné pour compagne de jeux une mignonne écolière du voisinage, qui s’est mise en tête de lui enseigner les principes de la lecture à l’aide de cubes de bois formant alphabet. »

    Nombreux sont les récits des voyageurs où l’on rencontre des exemples de l’extraordinaire intelligence de certains singes et de leurs aptitudes à vivre en commun comme les hommes et à la manière des hommes ; et il en est qui nous relatent des faits difficilement niables à cause de la qualité des témoins, faits se rapportant à l’aptitude de certains quadrumanes à vivre et à converser avec certaines peuplades indiennes des bords du haut Amazone qui ont appris à comprendre leur langage rudimentaire. MM. L. et G. Verbrugghe, dans leur voyage au centre des forêts de l’Amazone, ont relevé précieusement le récit de voyageurs et le serment d’un missionnaire à propos de la coutume suivante en vigueur aux sources du Jurna : Les Indiens Uginas s’y croisent avec un grand singe noir appelé « coata » et leurs métis naissent parfaitement constitués. Ceci corrobore le récit de M. de Castelnau qui raconte que, rencontrant une Indienne de cette tribu, il voulut lui acheter un magnifique macaque qui se prélassait sur la porte de sa cabane ; elle refusa malgré le prix élevé qu’on lui offrit. L’Indien, qui accompagnait M. de Castelnau, se prit à rire et dit : « Elle ne le vendra pas, c’est son mari ! » (L. et G. Verbrugghe, Forêts vierges).