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BALAOO

lambeau blanc comme le voile d’une jeune épousée.

Il ne douta plus que ce fût là le voile de Madeleine.

Il le reconnaissait. Sa terreur lui disait qu’il ne se trompait pas. Il l’arracha à la forêt de ses doigts fébriles et le porta à ses lèvres en sanglotant. Quelques pas plus loin, ce fut un morceau de satin de la robe qu’il trouva… et puis un petit soulier… c’était le petit soulier blanc de Madeleine ; il le baisa éperdument…

Et il appela de toute la force de sa douleur : « Madeleine ! Madeleine ! Madeleine !… »

Non point comme on appelle une vivante, mais comme on appelle une morte qui vous est chère, pour qu’elle vous apparaisse. Car il y a des moments où la douleur humaine ne craint point les fantômes et où elle évoque les ombres pour les presser sur son cœur, des moments où la douleur ne tremble point sur le seuil du grand mystère, des moments où l’amour des vivants voudrait faire sortir les morts de la nuit et où il s’étonne naïvement (tant il a appelé avec force) que les ombres ne viennent point le baiser sur la bouche.

— Madeleine !…

Seuls, les cris des corbeaux lui répondirent… et c’est guidé par les cris des corbeaux qu’il continua de marcher à travers les branches.

Quand il eut écarté les dernières lianes de ce coin de futaie épaisse, il y avait comme un incendie au ras de la terre et des troncs, et il lui parut qu’il débouchait au centre de la fournaise. Il reconnut la clairière de Moabit. Plus de mille corbeaux étaient là qui ne tournèrent même point la tête, très occupés qu’ils étaient à manger la triple charogne de trois grands cadavres d’hommes étendus sur l’herbe, les bras en croix.