Page:Leroux - Balaoo, 1912.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
364
BALAOO

modes de Paris et s’habillait de feuillages. Et elle était bien contente de ne plus apprendre la géographie. Coriolis avait perdu l’habitude de parler homme et ne transmettait plus sa pensée qu’à l’aide de quelques monosyllabes de la langue anthropoïde, et il se sentait avec une âpre jouissance retourner à ce qu’il pensait être le point de départ, la source de la vie humaine : à la race singe. Le malheureux n’avait plus la force cérébrale nécessaire à concevoir que cette rétrogradation lui était envoyée peut-être comme un châtiment du ciel pour avoir osé s’amuser au jeu défendu par la nature du mélange des espèces.

Seul, Balaoo, qui continuait tous les six mois à retourner à la ville de Batavia pour chercher une lettre de Madeleine, poste restante, et qui n’avait cessé de lire Paul et Virginie, avait conservé presque toute sa civilisation acquise.

Le souvenir de Madeleine l’aidait beaucoup en cela. Il vivait toujours avec la pensée de sa jeune maîtresse… Elle était maintenant notairesse à Clermont, et deux petits enfants jouaient dans l’étude de la rue de l’Écu, avec l’abominable général Captain.

« Si jamais, se disait Balaoo, ces deux gamins-là ont besoin de quelque chose dans la vie, ils n’ont qu’à faire un signe, je suis là !… Touroo !… Woop !… Touroo !  »

J’ai dit que Balaoo avait conservé, dans sa forêt de Bandang, presque toute sa civilisation acquise.

Mais il n’en montrait aucune fierté.

Et quand les hôtes de la forêt, les vrais frères fauves de Bandang, se furent rapprochés peu à peu de la nouvelle famille du village des mangliers, et que, les soirs de printemps, ils faisaient le cercle autour de Balaoo pour qu’il leur racontât des histoires d’hommes, Balaoo leur