Page:Leroux - L'Epouse du Soleil.djvu/108

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raissait dans tout son dessin terrestre au-dessus des eaux, ce ne furent point seulement des pierres mortes, des temples défunts, des palais abandonnés qui surgirent devant lui dans le premier rayonnement du jour : tous les degrés cyclopéens, toutes ces marches du ciel étaient couvertes d’une foule immobile et silencieuse tournée vers l’orient en flammes.

Et ce qui faisait croire au rêve, c’était bien cette immobilité et ce silence. Ils étaient là des milliers qui semblaient ne pas respirer dans l’attente de quelque événement mystérieux et sacré.

Le disque du soleil est encore caché par les Andes prochaines, mais tout fait prévoir son essor victorieux. Le flanc des monts se pare de mille pierreries éblouissantes ; et les ruisseaux sont en feu. Le lac n’est plus qu’une immense glace rose qui reflète le rêve immobile des palais et des Temples. Des vierges, portant comme au temps jadis les emblèmes religieux et les plus belles fleurs de la saison se pressent sous les portiques. Au sommet des tours allumées par l’aurore les prêtres attendent le visage de leur dieu.

Soudain, Il apparaît… Il monte… Il rayonne sur son empire et une immense acclamation le salue. « Salut, Soleil ! roi des Cieux, père des hommes ! » La terre tremble, les eaux frissonnent, le ciel est si ému de ce grand cri qui monte de l’île sacrée qu’il en laisse tomber les oiseaux étourdis[1]. « Salut, Soleil, père de l’Inca ! » Les bras se tendent vers lui, les mains lourdes d’offrandes s’élèvent au-dessus des têtes et toutes les bouches chantent sa gloire : « Reconnais-tu tes enfants ? Es-tu toujours accompagné de l’âme innombrable des guerriers morts pour la patrie ? » Le cri de joie part de la multitude entière, accompagné de chants de triomphe et du tumulte des instruments barbares. Toutes ces fanfares sauvages éclatent de plus en plus et à mesure que le disque brillant de l’astre se dresse à l’orient et inonde de lumière ses adorateurs. Ô Soleil ! Regarde ton empire ! Après tant de siècles, vois les hommes qui habitent ces champs et ces montagnes, tous les fronts sont tournés vers toi. Toutes les bouches sont ouvertes vers toi. Aujourd’hui comme autrefois, tes enfants s’enivrent de tes rayons !…

Les vierges ont levé leurs bras dorés et ont offert au dieu la libation dans les vases sacrés, remplis de la liqueur fermentée du maïs ou du maguey ; et les prêtres à la tête des théories religieuses ont entonné les hymnes rituels qui, après s’être élevés vers les cieux semblent maintenant s’enfoncer dans la terre. Quel est ce miracle ? Le rêve a disparu ! s’est évanoui comme se dispersent sous les premiers rayons du soleil les buées légères du matin ?…

Raymond se frotte les yeux comme un enfant à son réveil. Où donc est cette foule qui peuplait tout à l’heure ce désert de pierres ? Qui donc a crié vers le Soleil ? Maintenant que l’astre est haut dans les cieux et que les choses apparaissent avec leurs formes coutumières que ne peut plus habiller l’imagination, Raymond ne voit que ce qui est : des palais en ruines et la solitude ! Mais Orellana fait glisser rapidement sa pirogue vers le rivage ; il aborde. Il ordonne au jeune homme de sauter avec lui sur la grève. Et quand ils approchent de la falaise, il lui fait signe d’écouter : la foule pieuse s’est enfoncée dans la terre ; la falaise résonne de chants intérieurs : « Et maintenant, viens, dit le vieillard. Ils sont descendus vers le Temple de la Mort mais nous y serons avant eux. »



REGARDEZ, C’EST ICI
LE TEMPLE DE LA MORT


Ils entrent dans une grotte. Raymond n’a plus aucune volonté. Marie-Thérèse est perdue ! Le baiser qu’il lui a envoyé est celui qui les unissait dans la mort, car le jeune homme compte bien ne point lui survivre. Quand il sera sûr qu’elle est morte, son tour, à lui, viendra. Il aurait voulu se tuer à ses côtés, comme font les amoureux, sur la tombe de la bien-aimée. On lui a dit qu’elle doit mourir dans le Temple de la Mort : alors il suit ce vieillard dont on a tué jadis la fille dans ce Temple et qui a cherché ce Temple dix ans et qui prétend savoir maintenant où il se trouve.

La grotte est profonde. Après avoir marché quelques instants sur le sable et les coquillages, le vieillard alluma une branche de résine. La flamme éclaire l’entrée d’un étroit couloir de nuit, mais, avant de s’y introduire, Orellana a ramassé dans une excavation une chose qui attire l’attention de Raymond. Qu’est-ce que c’est ? C’est une pioche. « Vieillard, que comptes-tu faire avec cette pioche ? — Je compte sauver ma fille, répond Orellana. Tu verras ! Tu verras !… Cette fois, je ne laisserai

  1. Les acclamations étaient si grandes, dit Sarmiento, qu’elles faisaient quelquefois tomber les oiseaux du haut des airs.