Page:Leroux - L'Epouse du Soleil.djvu/109

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pas ces brigands l’étouffer comme il y a dix ans. Tu comprends, ils la murent vivante. Eh bien ! nous n’avons qu’à attendre qu’ils soient partis, et nous la délivrerons !… As-tu compris ?… bien compris ! c’est tout à fait simple !… quand j’eus trouvé le Temple de la Mort et que je vis dans la muraille toutes les pierres qui recouvrent les épouses du Soleil, je m’écriai : « Ça n’aurait pas été bien difficile de la délivrer si on avait été là ! », mais, alors, il était trop tard ! d’abord, je ne savais pas où elle était… Était-elle à droite, à gauche ou en face ?… mais la prochaine fois… nous verrons bien ! nous verrons bien !… Viens ! » Raymond, d’avoir écouté la parole d’Orellana, tremblait. Était-il possible que ce fût si simple que cela de la sauver ?… Les fous avec leurs idées fixes ont quelquefois plus raison que tous les autres hommes avec leur raison !… Et il suivait le vieillard, hâtif, et fiévreux, dans le couloir de la nuit illuminé par la torche au poing tremblant d’Orellana. Mais Raymond avait pris la pioche. On n’entendait plus rien que leurs pas sur le roc. La terre dans laquelle ils étaient entrés et dans laquelle ils descendaient avait étouffé les chants comme elle allait peut-être les étouffer tout à l’heure.

Ce couloir avait été creusé dans le roc et aboutissait à de petites salles carrées où avait dû se trouver la sépulture des prêtres et des hauts dignitaires, comme on voit dans les pyramides et hypogées d’Égypte. Dans la dernière de ces salles, Orellana éteignit sa torche et se mit à genoux. On ne pouvait, en effet, se tenir debout dans l’étroit boyau dans lequel il se glissa, suivi de Raymond. Mais, bientôt, ils purent se relever ; ils étaient dans une niche de pierre moins obscure que ce couloir qu’ils venaient de traverser. Orellana arrêta Raymond et lui dit : « C’est ici ! » Les yeux du jeune homme s’habituaient déjà aux ténèbres moins opaques. D’où venait donc cette légère lueur diffuse grâce à laquelle il entrevoyait des formes, des angles, des colonnes ? Il ne put d’abord s’en rendre compte, mais il put définir assez facilement la position qu’ils occupaient dans un renfoncement de la pierre situé à plusieurs pieds au-dessus du sol d’une vaste salle dont ils ne percevaient pas encore les limites : « Le Temple de la Mort ! murmura Orellana. Écoutez !… Le Temple de la Mort !… »

En effet, le bruit lointain des chants parvenait maintenant jusqu’à leurs oreilles. On eût dit un grondement rythmique de la terre. Et soudain la lumière se fit, complète, et ils en furent éblouis et, instinctivement, ils se rejetèrent en arrière. Au-dessus d’eux, au sommet et au centre de la prodigieuse salle souterraine, une pierre venait de se déplacer, ouvrant un orifice assez large par lequel la lumière dorée entrait à flots. Il y avait là, creusée dans la voûte[1], une espèce de cône tronqué dont le sommet était à l’extrémité supérieure de telle sorte que la lumière du soleil glissait obliquement le long de ses parois et allait rayonner tout le long des murs, promenant son éclat tour à tour sur chacune des pierres qui formaient l’enceinte intérieure de ce temple mystérieux. Sur les dalles, sur les autels, sur les marches, dans les niches, partout resplendissait l’or dans une magnificence incomparable, des plaques d’or liées les unes aux autres par une sorte de ciment merveilleux dans lequel était entré de l’or liquide[2].

Ce temple caché était, à la lettre, une mine d’or. Il formait un immense cercle. Sur la partie orientale de la muraille était représentée l’image de la divinité. C’était une figure humaine, centre d’innombrables rayons de lumière qui paraissaient en jaillir de tous côtés. Ainsi chez nous, on personnifie quelquefois le soleil. Cette figure était gravée sur une plaque d’or massif de dimensions énormes, parsemée d’une multitude d’émeraudes et de pierres précieuses[3]. Les rayons du soleil levant venaient la frapper directement, illuminant tout le Temple d’une clarté qui paraissait surnaturelle, et que réfléchissaient de toutes parts les ornements d’or dont le mur et la voûte étaient incrustés. L’or, dans le langage figuré du peuple, était « les larmes versées par le soleil », et toutes les parties de l’intérieur du Temple étincelaient de plaques polies et de têtes de clou du précieux métal.

Les corniches qui entouraient les murs du sanctuaire étaient de la même matière, et un large cordon ou frise d’or incrusté

  1. L’architecture des Incas ne connaissait pas la voûte, c’est-à-dire l’arc de pierres suspendues. Dans le Temple de la Mort de l’île Titicaca, la voûte était creusée à même le roc.
  2. Cieza de Léon, dans sa chronique, chapitre XCIV, parle d’un ciment composé en partie avec de l’or liquide, qu’on avait employé dans la décoration intérieure des temples et dans les édifices royaux de Tambo. Cette richesse inouïe de la construction inca explique aujourd’hui bien des ruines et la rage destructive des premiers conquistadors, avides de butin.
  3. Cieza de Léon, Sarmiento, Prescott.