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ce quartier au milieu d’Indiens fanatiques, à la veille de l’Interaymi.

— Nous allons vous conduire à l’auberge, dirent-ils.

Et il les y accompagnèrent. Christobal aurait voulu remercier Huascar, mais l’Indien avait déjà disparu.

Quant à Marie-Thérèse et à Raymond, ils étaient fort pâles et ne disaient pas un mot. François-Gaspard paraissait tout à fait abasourdi et ne prenait plus de notes.

À l’auberge, ils ne trouvèrent qu’une chambre dans laquelle ils s’enfermèrent immédiatement et ce fut Raymond qui, le premier, prononça la parole fatale :

Si c’était vrai !

— Oui ! oui ! s’écria Marie-Thérèse, si c’était vrai !

— Quoi ? si c’était vrai ?… Quoi ?… si c’était vrai ? interrogea à demi fou, le marquis qui comprenait bien ce que les deux autres voulaient dire.

Si c’était vrai, l’épouse du Soleil !…

Ils restèrent un moment sans parler, courbés sous le poids de la pensée extraordinaire, absurde, monstrueuse. Et ils se regardèrent, inquiets et peureux, comme des enfants que l’on promène dans un abominable conte de fées. Raymond reprit, d’une voix sourde :

— Vous avez entendu Huascar : Mort est celui qui touchera à la Vierge du Soleil ! Laissez passer la Vierge du Soleil !…

— C’est peut-être une façon de parler qu’ils ont comme ça, émit François-Gaspard. Ça ne peut être que ça !

— Que ça, quoi ? Que ça, que ça, quoi ? s’exclama encore le marquis qui perdait tout à fait la tête et qui regrettait bien le voyage à Cajamarca.

François-Gaspard, timidement, expliqua : Ça ne peut être que ça, parce que ça ne peut pas être autre chose… l’autre chose. Si Mlle Marie-Thérèse devait être l’épouse du Soleil, on ne l’aurait pas laissée partir… ils l’auraient gardée.

— Ah ça ! mais, qu’est-ce que vous nous chantez, mon cher hôte, est-ce que vous devenez fou ? s’écria Christobal qui ne se voyait pas lui-même. Est-ce que vous croyez qu’on peut nous arrêter comme ça !… mais nous sommes les maîtres, ici… mais il y a de la police, ici ! de la troupe !… mais tous ces misérables sont nos esclaves ! Ma parole, nous rêvons tout haut.

— Oui, oui, nous rêvons tout haut ! fit Marie-Thérèse en secouant sa belle tête pensive.

— Mon avis est que nous quittions Cajamarca le plus tôt possible ! dit Raymond sans autre explication. Et il alla se camper au coin d’une fenêtre pour regarder ce qui se passait devant l’auberge. La nuit était venue. La place était déserte. Il y avait maintenant un grand silence sur Cajamarca. Soudain on frappa à la porte de la chambre. Un domestique apportait une lettre, un mot à l’adresse de Marie-Thérèse. Elle lut tout haut : « Partez, rentrez à Lima, quittez Cajamarca cette nuit. » Ce n’était pas signé, mais la jeune fille n’hésita pas.

— C’est un avis qui nous vient de Huascar, fit-elle.

— Et il faut le suivre ! dit Raymond.

De nouveau on frappa à la porte, cette fois c’était le maître de police qui se faisait annoncer.

On le reçut.

Il voulait savoir ce qui s’était passé et si Christobal avait eu réellement à se plaindre des Indiens. On lui avait fait un rapport qui représentait ceux-ci comme fort excités contre les étrangers, lesquels avaient osé, la veille de l’Interaymi, pénétrer dans l’ancien palais d’Atahualpa à l’heure de la prière. Il ajouta qu’un employé de la banque franco-belge de Lima, qui prétendait connaître le marquis et sa famille et avoir fait le voyage de compagnie, était venu le trouver pour lui conseiller de dire au marquis et à ses compagnons de ne se point montrer dans la ville, le lendemain, surtout dans les quartiers fréquentés par les Indiens, après l’imprudence qu’ils avaient commise.

Il était visible que le maître de police redoutait quelque mauvaise histoire et aurait voulu voir Christobal et ses compagnons à cent lieues de là. On le rassura en lui annonçant que le départ était décidé pour la nuit même. Il s’y employa aussitôt avec zèle, procura à la petite troupe des mules fraîches, un bon guide et la fit accompagner de quatre soldats qui ne devaient la quitter qu’à la première station de chemin de fer.

L’expédition se mit en route vers onze heures du soir et refit le même chemin, parcourut les mêmes étapes en moitié moins de temps qu’à l’aller. Raymond pressait tout le monde et se montrait, lui ordinairement si calme, le plus déraisonnable. Ce ne fut que le lendemain soir, quand ils furent tous installés dans le chemin de fer de Pascamayo, que les voyageurs se rendirent compte de ce