Page:Leroux - L'Epouse du Soleil.djvu/63

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cette heure s’ils n’avaient rien trouvé du tout ! Et le marquis lui-même nous aurait attendu ! Pourvu qu’il ne leur soit pas arrivé un malheur !

Comme ils venaient de contourner le rocher qu’ils avaient devant eux, ils se trouvèrent tout à coup en face du marquis à cheval, et de Raymond à pied. Et pas de petit Christobal. Raymond était pâle, mais le marquis était livide ! Tels ils apparurent à Natividad, car pour François-Gaspard, qui n’avait pas ses lunettes, le teint de ces messieurs ne lui parut pas autrement inquiétant. Natividad demanda tout de suite des nouvelles du petit Christobal.

— Les misérables m’ont pris mes deux enfants ! répondit lugubrement le marquis.

Voici ce qui était arrivé :

Le marquis avait un mauvais cheval et c’est avec la plus grande peine qu’il avait fourni cette énorme étape. Plus d’une fois, pendant cette ascension, il avait été sur le point d’abandonner sa bête, mais l’idée qu’elle pouvait lui être utile plus tard le fit patienter. Parfois il avait été obligé de descendre et de tirer l’animal derrière lui. Enfin, à l’aurore, il avait trouvé l’animal moins rétif et avait traversé le cirque où les Indiens avaient campé. Là, il chercha en vain une trace, un avertissement qui lui vînt de sa fille. Rien ! Rien ! pas un indice !… Ah ! l’Épouse du Soleil devait être bien gardée !… Enfin il atteignit l’endroit où gisait le cadavre du lama qui avait porté son fils. Il ne douta point que Raymond n’eût le petit Christobal avec lui, mais tout de même ce fut avec un cœur plus anxieux qu’il continua cette abominable marche ! Un peu plus tard, il poussait une exclamation de surprise en apercevant Raymond, Raymond seul, Raymond sans le petit Christobal !… Le fiancé de Marie-Thérèse expliqua au père désespéré l’événement inouï auquel il venait d’assister. D’abord, le petit Christobal, dès que l’on eut laissé derrière soi les lomas et que l’on fut entré dans la montagne, l’avait tout de suite dépassé et si bien dépassé que Raymond n’avait pas tardé à le perdre de vue. Deux heures plus tard, Raymond, lui, n’avait plus de cheval, sa bête ayant fait un faux-pas et ayant roulé dans le torrent où elle s’était tuée. Il n’avait eu que le temps de se rejeter de l’autre côté et de s’accrocher à la paroi de la montagne, où, un instant, il était resté suspendu, puis, il avait repris son chemin à pied, un chemin de chèvre et avait, enfin, découvert l’endroit du campement où les Indiens avaient dû passer la dernière heure de la nuit, ce qui lui fit espérer qu’ils ne pouvaient être bien loin !… Il avait continué sa route et, tout à coup, il avait aperçu le petit Christobal qui s’effondrait sur le roc avec son lama. Raymond l’avait appelé, et l’enfant l’avait entendu puisqu’il avait, aussitôt relevé, tourné la tête, mais aussitôt il avait repris sa course en avant, en criant : « Marie-Thérèse ! Marie-Thérèse ! »… Et c’est alors que l’ingénieur, levant les yeux plus haut, sur le chemin en zigzag qui serpentait au flanc des monts, avait aperçu la troupe des Indiens et des mammaconas. L’enfant était tout proche, et les autres semblaient l’attendre. En effet, aussitôt que le petit fut arrivé à portée du premier Indien qui marchait en arrière-garde, celui-ci se pencha, le saisit et l’emporta sur sa selle, pendant que le jeune captif continuait de crier : « Marie-Thérèse ! Marie-Thérèse !… » Raymond s’était précipité, mais il était beaucoup trop loin et, aussitôt qu’ils se furent emparés de l’enfant, les Indiens étaient repartis à très vive allure. L’ingénieur s’était arrêté, épuisé, et avait été rejoint par le marquis quelques instants plus tard.

— Ces nouvelles ne sont point mauvaises, déclara Natividad quand on l’eut mis rapidement au courant des événements. Les Indiens sont devant nous. Nous ne pouvons plus perdre leur piste. Ils sont obligés de passer par Huancavelica. Là, ils trouveront à qui parler ! Rassurez-vous, Monsieur le Marquis.

Le commissaire fit descendre un soldat et celui-ci dut donner sa monture à Raymond. Quand le soldat vit ce qu’on voulait de lui, il protesta dans un charabia indigné. Mais on ne lui demanda pas son avis et il continua de grogner en trottant à pied derrière les autres. Ainsi arriva-t-on à un endroit où le chemin se partageait en deux. L’un des sentiers continuait de monter, l’autre descendait pour aller rejoindre, beaucoup plus loin, un second torrent qui, naturellement, se dirigeait vers la costa. Raymond et le marquis et toute la troupe avaient déjà pris le sentier qui continuait de monter quand le soldat, resté à pied, déclara qu’il abandonnait l’expédition et qu’il redescendait vers la costa ; enfin qu’il se plaindrait au supremo gobierno de ce qu’un civil comme l’inspector superior s’était permis de lui prendre son cheval. Le commissaire lui souhaita bon voyage. Celui-ci prit donc le chemin de descente, mais