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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

et sa main, croyant conclure une bonne affaire.

Il l’aimait tellement et avait eu une si belle peur de la perdre qu’il n’avait pas hésité à la tromper, à lui mentir. Quand elle sut la vérité, ce fut un beau tapage ; mais elle lui appartenait ; un enfant — le petit Jacquot — venait de naître, et ils étaient si jeunes tous les deux ! Enfin, ils s’aimaient assez pour ne point désespérer tout à fait de l’avenir.

En attendant, il fallait vivre. André, resté veuf avec deux enfants, avait écrit : « Viens donc avec ta femme, il y a de la place pour vous, à Héron, et tu pourras m’être utile. » Et ils étaient venus.

Les Munda de la Bossière avaient donné longtemps à la France d’honnêtes magistrats et de valeureux guerriers, mais en ce siècle de vie difficile où, dès que l’on ne possède point les revenus de quelques millions, on est pauvre, ils n’avaient pas hésité à se tourner vers le commerce et l’industrie, ce qui, après tout, est bien aussi honorable que d’aller vendre son nom en Amérique, et ce qui est même plus sûr quand on n’appartient qu’à une bonne petite famille du Béarn.

André, l’aîné de Jacques de dix ans, était sorti de Polytechnique dans un bon rang et était entré tout de suite dans l’industrie privée. Ayant eu la chance de rencontrer sur sa route un pauvre inventeur, il l’avait convenablement dépossédé de son fameux « manchon », le manchon « Héron », selon toutes les règles encore maintenant en usage et grâce auxquelles de bons petits capitaux se multiplient à l’infini,