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Page:Leroux - L’Homme qui revient de loin.djvu/263

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CE QUI PEUT ARRIVER…
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et le vent les chassait au galop du côté de la forêt qui commençait à chanter d’une façon lugubre.

Mais, armée uniquement de son cœur d’airain, Fanny ne tremblait ni physiquement — car elle avait pris soin de s’envelopper d’une cape épaisse qui protégeait jusqu’à son visage — ni, si l’on peut dire, moralement.

La forme nocturne des choses ne l’émouvait point. Le geste inattendu d’une branche, la silhouette tourmentée et gémissante de quelque buisson au bord de la route ne l’arrêtaient pas. Elle passait, avec précaution, mais elle passait, et elle se trouva bientôt derrière cette clôture de planches, où elle s’était déjà tapie certain soir, avec son petit tchéri, pour surveiller les hantises de Marthe…

En ce temps-là, il ne s’agissait que de « savoir ». Maintenant, il fallait « agir ».

Et elle attendit…

C’était le même décor et à peu près le même temps… avec ses éclaircies de lune… C’étaient les mêmes heures qui sonnaient au clocher prochain du village… c’était le même balancement douloureux des trembles, sur la gauche, au coude du chemin de halage… c’était la même fraîcheur glacée qui montait du fleuve, coulant son flot pâle entre les nénuphars de la rive et la racine des saules… C’était le même petit bruit de chaîne venant du bachot… Ah ! ces bruits de chaînes, quelle importance ils avaient pris dans certaines pauvres cervelles malades !… Fanny n’aurait pu s’empêcher, même dans un pareil moment, d’en