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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

l’oreille comme le bruit de l’ongle ou d’une pierre dans de la craie qui égratigne le tableau noir. Ce sont les dents de M. Longuet qui se brisent, qui éclatent sous la poussée du cri de la douleur. Des petits morceaux de ces dents ont été projetés autour de nous. À cet horrible spectacle, M. de la Nox, qui avait l’air ennuyé, nous avoua qu’il n’avait jamais assisté ni soupçonné que l’on pût assister à une souffrance aussi effective, et que cela tenait peut-être à ce qu’il n’avait, jusqu’à ce jour, opéré que des âmes réincarnées d’au moins cinq cents ans, et encore étaient-elles fort rares, celles de deux mille ans fournissant la majeure partie de sa clientèle. Je vis bien que, malgré toute sa science et toute son expérience, l’illustre auteur de la Chirurgie psychique était sensiblement désemparé. Comme il avait été un peu dur pour moi et qu’il m’avait traité tout à fait en amateur, j’en aurais pu concevoir quelque intime réjouissance, mais le supplice que supportait, sur l’heure, mon meilleur ami m’empêcha de tirer de cet incident toute la consolation morale qu’il m’apportait. M. de la Nox, qui ne tâchait même plus à dissimuler son trouble, aurait peut-être arrêté là l’opération s’il en avait eu le temps. Mais on enfonçait déjà le quatrième coin dans les jambes de mon pauvre ami, et les trois derniers autres coins se succédèrent avec une rapidité qui ne permit même point à M. de la Nox d’interroger M. Longuet. Pendant ces quatre coins, la bouche de M. Longuet, édentée, s’était rouverte, et ce qui s’en échappait n’avait plus rien qui ressemblât au cri des hommes.

» Ce cri était si inconnu et si curieux dans la bouche d’un homme que nous nous penchâmes sur la bouche, tremblants de terreur, pour voir comment un pareil cri pouvait se faire dans une bouche humaine. Nous nous