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LA DERNIÈRE POIGNÉE DE MAIN DE CARTOUCHE

mauvaise fortune fut l’affaire du Luxembourg[1]. Elle aurait dû m’ouvrir l’œil, mais mon orgueil m’empêchait de voir clair. Il est bien temps de faire toutes ces réflexions, maintenant que je suis dans le charnier !

» Je suis vivant dans le charnier, avec les morts, et, pour la première fois de ma vie, j’ai peur ! Mais je n’ai pas peur des morts, j’ai peur des vivants, car il y a un vivant autour de moi ! Je sais qu’il remue. Il est étrange comme à cette minute, où je suis sur la limite de la vie et de la mort, mes sens perçoivent des choses qu’ils avaient ignorées dans la bonne santé, et cependant mes oreilles n’entendent plus, à cause de l’eau bouillante dont elles furent pleines. Ne serais-je donc point le seul à vivre dans ce domaine de la putréfaction ? Je me souviens que la Vache-à-Paniers m’a raconté que le comte de Charolais avait fait enfermer vivantes dans de petites fosses, sur la butte de Montfaucon, des femmes qui lui avaient résisté. Mais moi, Cartouche, je n’ai point voulu croire à un crime pareil. Je sais bien qu’il se baigne dans le sang des petites vierges qu’il fait tuer, pour se guérir de l’affreuse maladie qui lui dévore les chairs ; mais enfermer des femmes vivantes dans des fosses, ça, je ne le crois pas[2]. Et cependant, il y

  1. Le 1er avril 1721, un mois après son évasion du Fort-Lévêque, Cartouche fut vendu par des mouches. Ils avaient averti la police que Cartouche devait traverser le Luxembourg pour se rendre dans une carrière près de Montrouge. Quand il fut dans le jardin, toutes les portes furent fermées à l’exception de celle par laquelle il était entré, qui était la porte de la rue de Vaugirard, en face de la rue Férou. Cette porte était gardés par cinquante archers qui devaient l’emmener en prison. Ayant jugé du traquenard, Cartouche prend vite sa résolution, comme toujours. Il revient en face de la rue Férou. Là, un pistolet de chaque main, il se précipite, bondit sur un cheval qu’un garde française tenait par la bride, et disparaît par la rue de Tournon sans avoir même eu besoin de faire feu (Maurice Bernard).
  2. Plusieurs historiens accusent, en effet, le comte de Charolais