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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

essayait ses jambes. Il retrouvait leur ancienne élasticité.

Il s’arrêtait aux boutiques, regardait en détail le spectacle de la rue. Adolphe, dans les commencements, de loin, le suivait. Il ne remarquait rien d’anormal dans la façon d’être de Théophraste et, dans son rapport à M. de la Nox, se contenta de lui signaler ce fait, vraiment sans importance, d’une station un peu prolongée devant l’étal d’un boucher. Si cette station n’avait pas été quotidienne, elle eût passé inaperçue, même aux yeux avertis d’Adolphe. Théophraste, ses mains jouant derrière lui avec son ombrelle verte, regardait la viande saignante. Il avait aussi quelque petite conversation avec le boucher, un fort gaillard, carré des épaules, et qui avait toujours le mot pour rire. Un jour que M. Lecamus estimait que Théophraste avait passé beaucoup de son temps à l’étal du boucher, il le rejoignit, « comme par hasard », et le trouva, avec le patron, occupé à décorer de papillotes de papier frisé la viande toute fraîche. C’était bien inoffensif. Ainsi en jugea du reste M. de la Nox qui écrivit en marge du rapport de M. Lecamus : « Il peut regarder la viande saignante à l’étal du boucher. Il est bon de le laisser « voir rouge » de temps en temps. C’est la fin de la crise et ça ne fait de mal à personne. »

Cette boucherie était une petite boucherie qui avait sa spécialité. Il y a, à Paris, des boucheries où l’on ne vend que du cheval. M. Houdry vendait surtout, entre autres viandes communes, une exceptionnelle viande de veau. Ah ! quelle viande de veau ! Où M. Houdry faisait-il nourrir ses veaux ? Quel régime les veaux de M. Houdry suivaient-ils avant que de se montrer dans tous leurs avantages à son étal ? D’où venaient les veaux de M. Houdry ? Autant de mystères