Page:Leroux - La Double Vie de Théophraste Longuet.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
213
THÉOPHRASTE REPREND GOÛT À LA VIE

impénétrables qui faisaient la renommée et la petite fortune de M. Houdry. Quant à moi, je crois bien que l’excellence de la viande de veau de M. Houdry tenait moins au traitement que subissaient les veaux vivants qu’à la façon dont il les faisait trépasser. Tous les bouchers à Paris reçoivent leur viande des abattoirs. M. Houdry, lui, recevait son veau vivant, et tuait lui-même à sa manière. Je dis qu’il recevait « son veau ». Car, c’était un veau que M. Houdry tuait tous les jours que Dieu fait. Il ne tenait pas à vendre en grande quantité mais il vendait cher et il avait raison, car son mode de tuer ou plutôt « d’énerver » la viande faisait que celle-ci était tout de suite, et à ne s’y jamais tromper, appréciée des amateurs. Il ne se contentait pas de ne point assommer son veau ainsi qu’on le fait aux abattoirs, il le saignait à la mode juive avec un grand coutelas qu’il appelait « le saigneur », sans s’y reprendre jamais à deux fois, c’est-à-dire qu’il lui coupait la gorge sans revenir dans la blessure. En outre, il ne manquait point de rejeter un veau dès qu’il était « trèfle », c’est-à-dire dès qu’il avait quelque petite maladie de la fressure. Enfin, il y avait la façon dans tout cela.

M. Houdry avait, dans le plus grand mystère, expliqué son cas de sa viande de veau à M. Théophraste Longuet qui y avait pris un évident plaisir. Si bien que Théophraste, après avoir prêté l’oreille à la théorie, devant l’étal, avait manifesté le désir d’assister à une leçon de pratique. Dans une petite cour adjacente à l’étal, M. Houdry avait un abattoir clandestin. Certain matin, Théophraste, qui était survenu de meilleure heure que de coutume, trouva son homme à l’abattoir avec son veau. Le boucher pria Théophraste d’entrer et les portes se refermèrent sur eux.