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CE QUI S’EN SUIVIT AU FOND DES CATACOMBES…

tout à coup, nous nous trouvâmes dans une excavation si vaste, dans un si immense cirque, que notre lumière, si brillante fût-elle, ne pouvait nous en montrer les extrémités. Enfin, quelle ne fut pas notre joie et aussi notre stupéfaction quand, ayant regardé à nos pieds, nous nous aperçûmes que nous étions sur la berge, fleurie d’un épais tapis de mousse, d’un lac aux eaux d’une transparence cristalline, dans laquelle nous voyions s’ébattre des poissons merveilleux aux écailles incolores, sans yeux, nullement sauvages, et que nous eûmes pu saisir, nous semblait-il, en nous penchant un peu, avec la main. Enfin, nageant sur les eaux enchantées de ce lac, une troupe de canards ! Une troupe de quinze canards !

» — Quinze canards ! s’écriait tout bas Théophraste, car il avait peur de les faire fuir. Il y en a quinze ! Je les ai comptés ! Et dans sa barbe il ajouta, en pleurant de joie : « Coin ! Coin ! Coin !… »

» Puis, perdant toute espèce de respect, Théophraste me frappa sur le ventre et me dit :

» — Eh ben, mon vieux ! qu’est-ce que tu dis de ça ? C’est autre chose que tes aselides, asellus, asionus, aquaticus, masticus, mastica, masticum, puteanus ! Coin ! Coin ! Coin !

» J’avoue que j’étais un peu humilié de ne pas avoir su prévoir… Mais je reconquis bientôt tous mes avantages dans l’esprit de Théophraste, lorsque, l’ayant fait asseoir à mes côtés sur la berge, pour qu’il n’effrayât point les canards, je lui eus expliqué, avec preuves à l’appui, que ce que nous voyions là était tout à fait naturel. Il me remercia avec effusion, me disant qu’il ne se serait jamais consolé qu’un si beau lac, que de si beaux canards, en un pareil moment, n’eussent pas été naturels !