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LA NATION TALPA

une voix d’une douceur ineffable, et tant de brouhaha n’était que le résultat de mille murmures enchanteurs. Moi qui, dans un éclat de mon étoile électrique, avais vu leurs groins roses, je ne pouvais me faire à cette idée que de pareils groins pussent laisser couler de si douces et mielleuses paroles. J’écoutai, cependant que dame de Montfort, dans le fauteuil d’orchestre, à côté de moi, m’enfonçait les doigts dans les oreilles, en manière de gentillesse, et s’extasiait sur leur petitesse. Mon Dieu ! quelle belle langue que la langue du quatorzième siècle : écoutez ! Un beau sire derrière moi bouscule tout le monde et je l’entends qui dit : « Or, veux-je retourner à dame de Montfort, qui bien a courage d’homme et cœur de lion. » Un autre sire répond au premier sire que, dans le moment, dame de Montfort a une attitude dont il est dolent et courroucé. (Elle me promenait alors ses deux index de la main droite dans l’œil gauche.) Mais elle ne s’occupait de personne que de moi et répétait aux gens : « Ha ! seigneurs ! ne vous ébahissez mie ! Ainsi je le vueuil réconforter ! » Et elle me réconfortait en fourrant ses doigts partout, avec une grande décence certainement, mais avec plus de curiosité encore. Cette dame avait les vingt doigts les plus curieux du monde.

» Enfin, il y eut un grand silence. C’était sans doute le concert qui commençait ; durant quelques minutes, nous n’entendîmes plus rien, mais absolument plus rien. « Ils se tenaient tous cois et nul ne sonnait mot[1]. »

» Mais bientôt des protestations troublèrent cette grande pause. Elles montaient autour d’un ronflement

  1. J’ai tenu à mettre en lettres italiques tout ce qui est de la langue du quatorzième siècle, de telle sorte que les pédants pussent vérifier et avoir ainsi la certitude que, dans cette histoire, je n’ai rien inventé. (Note de M. le commissaire Mifroid.)