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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

que je reconnus pour être celui de Théophraste. Je me levai et lui secouai le bras. Il me pria de présenter ses excuses.

» — Chaque fois, me dit-il, que je vais au théâtre, ça ne rate pas.

» Beaucoup de paroles encore autour de nous. « Tant fut proposé et parlementé », m’avoua ma voisine, qu’on avait déterminé de nous faire descendre sur la scène. J’eus ainsi la raison pour laquelle on nous avait entraînés avec cette précipitation dans la salle de spectacle de la ville et à la matinée classique de concert ; c’est qu’on voulait exhiber « notre phénomène » !… dans un entr’acte !… On nous réservait pour l’entr’acte !… Je fus étonné de voir avec quelle facilité Théophraste supportait cette humiliation, mais il était décidé à tout depuis que sa compagne lui avait promis qu’il y aurait du canard au sang au dîner, plus un brochet à la mode du cuisinier Jean Phébus et grand’foison de champignons de Béarn. Il fallut nous exécuter. Nous descendîmes donc sur la scène, dans un véritable trou, comme à l’orchestre de Bayreuth[1]. On pouvait nous voir, ce qui n’avait pas d’importance, mais je craignais qu’ils ne pussent m’entendre, car on me demanda de chanter. J’eus le bon goût de ne point me faire prier plus de cinq minutes. Ma voix n’est point déplaisante. Ces braves gens, selon moi, n’auraient certainement rien compris aux dernières chansons rosses de Montmartre. Le ciel me préserve de leur en faire un crime ! Moi aussi, j’en suis resté à la vieille et bonne et saine chanson de nos pères. Je susurrai le premier couplet de cette aimable romance : « Élisa, viens à moi ! » Je dis : susurrai, pour des rai-

  1. Tout ce qui est en italique n’est pas nécessairement dans la langue du quatorzième siècle. (Seconde note de M. le commissaire de police Mifroid.)