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UN JOYEUX OSSUAIRE

ciens. Ils arriveront tout à l’heure, après les dernières mesures à l’Académie nationale, nous dit-on.

» Le public s’empare des chaises, se les dispute, échange des plaisanteries sur la physionomie des « macchabées », attend.

» Il est une heure et demie du matin. Les musiciens arrivent, avec les boîtes lourdes des instruments.

» Oh ! alors.

» Tous les cabarets du néant, toutes les scènes artistico-mystico-macabres où l’on vient bafouer la vie et se gausser de la mort, toutes les boîtes de la Butte où les crânes ricanent aux murs, où les squelettes « chahutent » sur les planches, tout le carnaval funéraire de Montmartre est dépassé.

» Nous avons devant nous cinquante musiciens des orchestres de l’Opéra, de Lamoureux et de Colonne qui sont descendus au royaume des morts pour donner l’aubade aux trépassés. Et sous les voûtes des catacombes, parmi les avenues et les carrefours où s’alignent les murs tragiques des crânes, des tibias et des fémurs, la marche funèbre de Chopin fait entendre sa plainte, devant un public d’esthètes, de « petits ventres affamés », d’artistes, de bulgares, de moldo-valaques, de quelques habitués des premières, de M. le commissaire Mifroid et de M. Théophraste Longuet, qui redort sur une chaise (quand il est au théâtre, ça ne rate pas).

» — Parfait, le premier violon, parfait ! fis-je à mi-voix (je suis un amateur). Ce qui me transporta complètement, ce fut la façon dont ces messieurs exécutèrent l’adagio de la troisième symphonie de Beethoven. Enfin, nous eûmes « la danse macabre » de Saint-Saëns. Après quoi je frappai sur l’épaule de Théophraste et lui dis qu’il était très tard, qu’il fallait rentrer chez nous. Théophraste faisait tout ce que je voulais. Nous pres-