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QUI SE TERMINE PAR UNE CHANSON

droit. Ce papier qui datait du commencement du dix-huitième siècle, du temps du Régent, cette feuille que j’avais trouvée ou plutôt que j’étais allé chercher dans une prison, portait bien mon écriture. J’avais écrit sur cette feuille, moi Théophraste Longuet, ex-marchand de timbres en caoutchouc, qui venais de prendre ma retraite la semaine passée, à l’âge de quarante et un ans, j’avais écrit sur cette feuille les mots encore incompréhensibles que j’y lisais, en 1721 ! Du reste, je n’avais pas besoin de M. Petito ni d’Ambroise pour en être sûr. Je le savais ! Tout en moi me criait : « C’est ton papier ! c’est ton papier ! »

» Ainsi, avant d’être Théophraste Longuet, fils de Jean Longuet, maître jardinier à la Ferté-sous-Jouarre, j’avais été, dans les temps passés, quelqu’un que je ne savais pas, mais qui renaissait en moi. Oui, oui, par instants, j’étais « tout écumant » de me ressouvenir d’avoir vécu il y a deux cents ans.

» Qui étais-je ? Comment me nommais-je alors ? Dans quel corps mon âme immortelle avait-elle momentanément élu domicile ? J’avais la certitude que toutes ces questions ne resteraient point longtemps sans réponse. Est-ce que déjà des choses que mon existence présente ignorait ne surgissaient pas de mon existence passée ? Que voulaient dire certaines phrases prononcées à la Conciergerie ? Qui donc était ce Simon l’Auvergnat dont le nom était revenu par deux fois sur mes lèvres brûlantes ?

» Oui, oui, le nom d’autrefois, le mien, surgirait, lui aussi, de mon cerveau réveillé et, sachant qui j’étais, je me rappellerais toute la vie revivante d’autrefois, et je lirais alors dans mon ardente mémoire tout le document d’un trait. »

M. Théophraste Longuet, il faut que je le dise, n’é-