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Page:Leroux - La Double Vie de Théophraste Longuet.djvu/50

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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

Quand on réfléchit à cette merveilleuse union de trois cœurs qui s’estiment, on se prend à regretter, tout de même, que la « Villa Flots d’Azur » ne se soit pas appelée « Villa Flots d’Amour ».

Théophraste serra avec effusion la main d’Adolphe, qui se tenait derrière Marceline. Il fit compliment à sa femme de sa belle mine, et cela sur un petit ton gaillard qui sentait son bâtard du Régent.

Il avait, ce jour-là encore, son ombrelle verte, mais il l’agitait de façon désinvolte, en faisant son compliment, comme il pensait qu’on en usait des cannes au commencement du dix-huitième siècle.

Vous savez que Théophraste n’était point un esprit vaniteux ; mais on n’apprend pas, par une sorte de miracle scientifique, qu’on a été un grand homme il y a deux cents ans, sans qu’il vous en reste quelque chose dans les manières, dans la façon d’être avec les gens et avec les choses.

Quelques amis étaient venus des environs avec leurs femmes pour fêter, comme ils en avaient coutume, l’anniversaire de l’heureux ménage. Théophraste sut trouver le mot qu’il fallait pour chacun et une flatterie délicate pour chacune. Sa femme et Adolphe le regardaient, un peu étonnés, et le trouvaient, ce jour-là, à son avantage.

On se mit à table dans le jardin, sous la tente. La conversation roula tout d’abord sur les derniers événements de la pêche à la ligne, dont l’ouverture était encore récente.

M. Lopard avait pêché un gros « bétet » de trois livres ; la vieille Mlle Taburet, qui trempait son fil dans l’eau le dimanche, se plaignait qu’on fût venu, pendant la semaine, pêcher « sur son coup ». Un troisième déclarait qu’on donnait trop à manger au poisson, qu’on le