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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

se rapproche de M. Petito ; M. Petito s’éloigne de M. Longuet), on peut toujours tuer une mouche ! Et je le lui plongeai dans le cœur. Il s’affaissa en faisant des moulinets avec ses bras, Il était mort ! (M. Petito, qui avait d’abord glissé sur la banquette, glisse dessous, et, de dessous de banquettes en dessous de banquettes, gagne la porte et recouvre la liberté.)

M. Théophraste Longuet vide son bock, se lève et va à la caisse de la brasserie Boustes, où Mme Berthet compte des jetons. Il lui dit :

— Madame Taconet (Mme Berthet se demande pourquoi M. Théophraste l’appelle Mme Taconet ; cette demande informulée reste sans réponse), si vous recevez ici le chevalier Petito, vous lui direz de ma part que la première fois que je le retrouverai sur mon chemin, je lui couperai les oreilles !

Ce disant, Théophraste caresse le manche de son parapluie comme on caresse le manche d’un poignard. Il n’y a pas de doute, Théophraste a sa plume noire. Il est tout à fait devenu l’Autre. Et il s’en va, sans payer.

Le brouillard était encore épais. Il ne songea pas à déjeuner. Il marchait dans cette buée sulfureuse comme en un rêve. Il traversa tout l’ancien quartier d’Antin et ce qui fut autrefois la Ville-l’Évêque. Quand il aperçut l’ombre des tours de la Trinité, il dit : « Ah ! ah ! le Château du Coq ! » Il était à la gare Saint-Lazare quand il croyait être « à la Petite Pologne. » Mais, peu à peu, le brouillard s’étant dissipé, son rêve, avec lui, s’envola. Il eut une notion plus exacte des choses. Quand il traversa la Seine, au Pont-Royal, il était redevenu un honnête Théophraste, et quand il mit le pied sur la rive gauche, il n’avait plus qu’un vague souvenir de ce qui venait de se passer sur la rive droite.

Mais il avait ce souvenir. En effet, quand il s’interro-