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LE PORTRAIT

geait bien, maintenant qu’il commençait à avoir l’expérience de ses différents états d’âme, Théophraste découvrait en lui trois états d’âme : 1o celui qui résultait de son existence actuelle d’honnête marchand de timbres en caoutchouc ; 2o celui qui résultait de la Résurrection soudaine et momentanée de l’Autre ; 3o celui qui résultait du Souvenir. Ce souvenir était en lui comme un troisième Théophraste qui eût raconté au premier ce qu’il savait du second. Autant la Résurrection en Théophraste était un événement terrible (nous l’avons vu et nous le verrons encore avec M. Petito), autant le souvenir était chose douce, mélancolique et propre à faire naître en un cœur endolori le sentiment d’une tristesse toujours aimable et d’une pitié philosophique.

— Pourquoi, se disait-il maintenant, en se dirigeant vers la rue Guénégaud, pourquoi Adolphe m’a-t-il donné rendez-vous au coin de la rue Guénégaud et de la rue Mazarine ?

Il s’y achemina. Il ne voulut point passer par le coin de la rue Mazarine qui longe le palais de l’Institut, autrefois des Quatre-Nations. Il ne savait pas pourquoi. Il fit le tour par l’hôtel de la Monnaie et ainsi arriva-t-il rue Guénéguaud. Adolphe était là qui le prit par le bras.

— N’auriez-vous point entendu parler, mon cher Adolphe, lui dit-il, d’un nommé l’Enfant ?

— Oui, oui, dit Adolphe, j’en ai entendu parler. Je sais même son véritable nom, son nom de famille.

— Ah ! et quel est-il ? demanda anxieusement Théophraste.

Adolphe, pour toute réponse, poussa Théophraste dans la petite allée d’une vieille maison de la rue Guénégaud, à quelques pas de l’hôtel de la Monnaie. Ils montèrent un escalier branlant et entrèrent dans une chambre dont les rideaux étaient tirés. On avait fait la