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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

croix, et tu n’as jamais écrit une ligne à qui que ce fût.

— « Parce qu’il ne faut jamais écrire », répondit Théophraste. Dans ma situation, je devais redouter de me compromettre. Mais le document est là.

— Évidemment. Revenons à tes onze ans. Un jour, tu vas avec des camarades à la foire Saint-Laurent.

— Dis donc, Adolphe, tu ne pourrais pas t’exprimer autrement ? Tu me dis : « Tu vas avec des camarades à la foire Saint-Laurent… Tu es né en 1693… tu étais un mauvais garnement… après tout, je veux bien avoir été Car… (il se rattrapa) l’Enfant… mais je suis aussi Théophraste Longuet, et je sais bien que Théophraste Longuet n’est qu’à moitié flatté de tout ce que tu lui racontes sur Car… l’Enfant. À chacun sa part. Je te serai reconnaissant de dire : L’Enfant s’en alla avec des camarades à la foire Saint-Laurent.

— C’est trop juste. À la foire Saint-Laurent, le petit Cartouche, donc…

— L’Enfant.

— Tu ne t’appelais pas encore l’Enfant ; on ne t’a appelé l’Enfant que lorsque tu as été un homme.

— Eh bien ! dis : le petit Louis-Dominique…

— Louis-Dominique tomba dans une troupe de bohémiens.

— Ce qui prouve, fit Théophraste, que les parents ont toujours tort de laisser aller à la foire les enfants tout seuls.

— Les bohémiens l’emmenèrent. Ils le volèrent.

— Le petit Louis-Dominique était à plaindre, s’apitoya Théophraste. Est ce qu’on le plaint dans les livres ?

— On dit qu’il se laissa voler de bonne grâce.

— Et qu’est-ce qu’ils en savent ! s’écria Théophraste.