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Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/204

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GASTON LEROUX

d’Iéna, le thaumaturge à la mode, Saïb Khan, que Christine reconnut à ses yeux de houri et à sa bouche, fleur sanglante entr’ouverte dans sa barbe de jais, Saïb Khan s’avança vers Dorga et prononça les premiers vers de l’hymne célèbre qui est chanté tous les ans dans le Temple, devant les autorités anglaises, lors des solennités du Dourga-Pourana :

« Ô déesse noire, grande divinité de Calcutta, tes promesses ne sont jamais vaines ; toi, dont le nom favori est Kou-Kâli, la mangeuse d’hommes ; toi qui bois sans cesse le sang des démons et des mortels ![1]… toi qui habites sous terre et qui ensuite reparais à la lumière… Vierge auguste qui nourris les générations, ô Mort, mère féconde qui te nourris de la cendre des univers, nous te supplions de descendre parmi nous et de nous donner la vie qui éloignera de nous la vieillesse !… Viens ! Dourga !… Viens ! nous « t’attendons ! »

Dorga-Dourga se leva et descendit au milieu des flammes vertes, déesse noire aux ongles d’or…

Son beau corps que ne voilait qu’un pagne de perles se détendit avec une langueur harmonieuse comme si vraiment elle sortait d’un long sommeil au fond des enfers et qu’elle fût heureuse de retrouver le mouvement que lui avait ravi le fatal repos…

Elle dansa. Une lueur d’aurore sembla naître sous ses pas !

Et ce n’était plus la déesse de la mort, ce n’était plus Dourga. C’était Vénus, la Vénus ardente aux seins cruels, née des flots limoneux du Gange ! Elle apportait avec elle une lumière de sang, qui fit reculer la flamme verte des torchères, comme aux rives du fleuve sacré s’éteignent devant le jour naissant les lueurs funèbres du bûcher.

  1. Revue d’Édimbourg.