Aller au contenu

Page:Leroux - La Machine à assassiner.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA MACHINE À ASSASSINER
245

avait voulu vivre ! Mais il ne le voulait plus… Je te raconterai un jour en détail comment j’étais tombée entre les mains du marquis et de ses amis, comment je me voyais perdue à jamais et comment Gabriel a surgi à la minute suprême de ma servitude pour m’arracher aux bras de ces vampires !… Tous s’étaient rués sur lui, mais à lui seul il était plus fort qu’eux tous !… Ils le criblèrent de plaies, ils déchargèrent sur lui leurs armes !… Tout fut vain. On ne tue pas la tempête. Il passa et m’emporta… et il me ramena ici… Mais, pour lui, c’était la fin !… Avant de venir me sauver, il avait été à demi écrasé par un formidable accident. Tout son système nerveux avait été furieusement atteint !… Sa circulation se faisait avec difficulté… Et il ne voulait pas que je le soigne !… il avait jeté ses petites clefs dans un précipice, avant qu’il ne s’y jetât lui-même… Il voulait mourir !… mourir pour toujours !… Tu sauras pourquoi !… C’est alors que je te télégraphiai, malgré la défense qu’il m’en avait faite et sa surveillance de tous les instants !…

« — Je n’ai plus que quelques heures à vivre, me disait-il, que personne ne vienne les troubler !…

« Enfin, un soir où ses gestes s’étaient fait plus lents, plus difficiles, il me dit adieu et me fit jurer de ne pas le suivre… je lui jurai cela, mais je le suivis de loin… Mon espérance était qu’il s’arrêterait peut-être tout à fait et qu’alors, malgré lui, je pourrais le soigner !… Mais il avait réuni ses dernières forces, il usait son dernier ressort… et il me conduisit loin dans les neiges, sur le chemin de Plan-Caval.

« Tout à coup, il se dressa sur une cime, sembla prendre à témoin le ciel et la terre, leva les bras et se jeta dans le précipice… J’accourus comme une folle ! Alors je fis un grand détour et j’atteignis, au prix de mille dangers, le fond du précipice… et je découvris ses pauvres restes brisés !… Je les ai rapportés !… Tu les verras !… Jacques ! ton enfant était sublime !… C’est le plus grand malheur du monde ! »