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Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/113

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LA POUPÉE SANGLANTE

Là il pénètre dans la boutique d’un marchand de vin et dès qu’il apparaît sur le seuil j’entends plusieurs voix qui le saluent par ces mots : « Tiens ! v’là le père Macchabée ! »

Ce mastroquet donne à manger… Il y a là une clientèle qui soupe… Des clients habituels, certainement… Mon entrée là dedans va faire sensation… Je ne suis pas mis avec une extrême élégance… Bah !… on me prendra pour un étudiant en médecine nouvellement installé dans le quartier…

Le principal est que je ne perde pas de vue mon père Macchabée !…

Il n’a, du reste, rien répondu à ce sinistre sobriquet, il est allé s’installer à une table dans un coin.

Je vois tout ce qui se passe par la porte grande ouverte sur la tiédeur de la nuit.

J’entre à mon tour, et la bande des soupeurs fait silence. Et soudain, une voix :

— Eh ben ! mon vieux !

Et j’entends des rires étouffés…

J’y suis habitué… je n’y fais pas attention… Ma vie ne serait qu’un pugilat… Ce n’est pas mon élégance très « relative » qui a fait sensation, c’est naturellement ma laideur… Et pour que je n’en doute pas :

— Dis donc, Charlot, ta femme qui cherche un amoureux !…

Cette fois, on s’esclaffe…

Seul, Charlot, le patron, reste digne… Il vient me demander ce qu’il faut me servir…

Je n’ai pas dîné… je ne sais pas comment je vis… je ne sais pas si j’ai faim, je ne sais pas si je pourrai manger… Je demande comme le « père Macchabée », un morceau de gruyère, du pain et une canette.