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Page:Leroux - La Poupée sanglante, 1924.djvu/155

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LA POUPÉE SANGLANTE

Bien avant l’histoire de la disparition des femmes, laquelle pouvait fort bien s’expliquer après tout par l’effroi que lui inspirait cet être misérable et « disgracié de la nature », Bénédict Masson était pour le père Violette le plus grand mystère du monde. Longtemps, l’ancien garde, devenu braconnier, l’avait observé avec une inquiétude grandissante, et encore maintenant ce n’était pas sans effroi qu’il passait à côté de lui comme à côté d’un fou dangereux dont il faut tout craindre… Songez donc !… Bénédict Masson vivait dans le marais, comme un vrai sauvage, comme le père Violette lui-même, plus mal vêtu que lui (quand les femmes n’étaient pas là) couchant à la belle étoile, passant des heures sans remuer, accroupi entre les roseaux, comme qui dirait à l’affût… et il ne pêchait ni ne chassait jamais !… Ça, c’était une énigme !…

Le père Violette en était positivement malade !… jamais, jamais un fusil, jamais un engin, jamais un bout de fil, un collet, un bout de gaule… Alors, quoi ?… qu’est-ce qu’il faisait là, pendant des journées et des nuits entières, se traînant de-ci de-là, furetant, les mains dans les poches, ou s’arrêtant les yeux fixes, pendant des heures, comme s’il attendait quelque chose, comme s’il chassait quoi ! ou comme s’il pêchait ! Et il ne pêchait et il ne chassait jamais !

Et, parfois, il « causait » tout haut, tout seul !… Ça ! le père Violette l’avait entendu !…

Qu’est-ce qu’il avait donc dans la cervelle, « cet oiseau-là », s’il n’était pas fou ?… Il avait tout du crime !…

Le père Violette s’en était tenu là ! Depuis le moment où il avait été bien sûr que Bénédict Masson ne braconnait pas dans un pays comme celui-là, où il n’y avait rien à faire qu’à bracon-