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Nanette, allumant les lampes. — Vous n’avez plus de fierté, Bernard. Je vous ai connu dans un temps où vous n’auriez pas voulu faire les courses des juges d’instruction.

Bernard. — Oh ! vous me dites cela parce que vous n’aimez pas M. Leperrier, je le sais bien. M. Jean et lui sont toujours fâchés ?

Nanette, très froide. — Je vais vous l’apprendre, peut-être…

Bernard. — C’est vrai, tout le monde le sait au Palais, mais ce que tout le monde ignore, c’est la raison…

Nanette. — Vous allez voir M. l’avocat général tout à l’heure, vous pourrez vous renseigner.

Bernard, avec un geste de protestation. — Oh !

Nanette. — Et puisque vous êtes si bien avec M. Leperrier, rien ne vous empêche…

Bernard. — Ne m’écrasez pas, dame Nanette… Écoutez bien, ils ont été si amis autrefois… Ils ont fait leur droit ensemble, ils ont débuté au palais ensemble ; quand M. Leperrier venait ici, il était traité par votre président.

Nanette. — Comme un fils ! Leperrier nous doit tout… Sans nous où serait-il aujourd’hui ?…

Bernard. — C’est M. le président et M. Jean qui l’ont fait nommer juge d’instruction à Paris, n’est-ce pas ?

Nanette. — C’est vrai.

Bernard. — Et, quand M. Jean s’est marié, son amitié pour M. Leperrier n’en a pas été diminuée… (Silence de Nanette.) Il y a quatre ans encore, ils ne se quittaient pas… on rencontrait partout M. Leperrier, M. Jean… et Mme Jean… alors, vous comprenez, on s’est demandé… une si longue brouille…

Nanette, allant au foyer et tisonnant. — C’est bon ! C’est bon !

Bernard, d’un air malin. — Pardonnez-moi d’avoir été indiscret.

Nanette, tisonnant. — Ce n’est pas la première fois. (Elle se relève brusquement et regarde Bernard en face.) Et voulez-vous que je vous dise ? Eh bien, cela m’étonne de votre part, Bernard, quand on a été trente ans comme vous…

Bernard. — Trente-deux ans et six mois, dame Nanette, ça ne nous rajeunit pas.