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De Faber. — Tant mieux ! En ce moment, je voudrais vous voir à tous les diables…

Maître Aga. — Je le sais… Vous êtes prêt à me condamner au maximum !

De Faber. — Qu’est-ce que ça veut dire ?

Maître Aga. — Je vous l’expliquerai à la fin de l’audience.. Alors vous m’acquitterez !

Le Réquisiteur général. — Avez-vous bientôt fini de taquiner M. de Faber, maître Aga ?

Maître Aga. — Monsieur le réquisiteur général, je voudrais écrire un livre sur le rôle de l’estomac au Palais de justice. Il serait d’un grand secours pour les stagiaires, mes jeunes confrères, qui apprendraient à ne se présenter que vers trois heures de relevée devant les digestions récalcitrantes et au début de l’audience… devant les digestions lourdes et somnifères… Messieurs ! Messieurs ! on a beaucoup médit des juges ! C’est un mal de ce pays de tout dénigrer, mais soyez persuadés que nos juges sont bons ; seulement il faut savoir s’en servir. Ce ne sont pas de purs esprits. S’ils ont tous une conscience, égale, ils ont chacun un tempérament différent, et comme le tempérament a la plus grande influence sur la conscience, c’est ce qui explique que, de deux inculpés poursuivis pour des méfaits semblables, devant des juges divers, l’un soit expédié à la Centrale et que l’on puisse rencontrer l’autre, après un glorieux acquittement, au Palais-Bourbon.

De Faber. — Vous, mon petit, vous finirez député !

Maître Aga. — Il faut finir par là pour commencer à être ministre de la Justice ! Accordez-moi ma remise après vacations et dans cinq ans je vous fais conseiller à la cour… Ah !… Messieurs ! Vous avez tort de sourire de théories ignorées des conférences Colonne, mais basées sur une expérience personnelle de vingt ans… Je parle le plus sérieusement du monde et je vous répète que la grande affaire pour le justiciable est de ne point tomber sur le président Faber à l’heure où il aurait tout intérêt à confier son sort au juge Paté… Où est-il, le juge Paté ?… je parie qu’il dort… (Les groupes s’écartent et laissent voir M. Paté qui somnole dans son fauteuil.) Là, que vous disais-je ?… Chut ! Un conseil… ne jamais réveiller le juge qui dort… Prolongez votre plaidoirie jusqu’à la minute du réveil… Ne vous apercevoir de rien… Terminez immédiatement, par ces