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m’auras enterré avec mes balances et mon glaive ! » … Dans cette maison nouvelle, je faisais entrer un enfant qui avait commis un crime, et je reconnus l’autre… celui que j’ai fait mourir !… Mais, dans mon rêve, il n’y avait plus d’échafaud !… Cet enfant, je le soignais, je m’attachais à lui faire comprendre l’horreur de son acte, et il m’écoutait avec docilité… Puis, je lui demandais de me raconter toute sa vie, non pour la lui reprocher, mais pour la mieux connaître… Je le voyais grandir sous mes yeux, dans une misère physique et morale, dont ni lui ni ses parents n’étaient responsables, et, à mesure qu’il grandissait, que l’envie s’emparait de son âme et qu’il subissait les atteintes du mal qui devait le conduire au crime, je voyais grandir un autre crime : celui de la société… Et la tâche que me traçait alors l’ancêtre était double : essayer de guérir cet enfant, puis, avertir la société. Car, qui donc mieux que nous, qui approchons ses victimes, pourrait lui donner d’utiles conseils pour diminuer dans l’avenir sa part de responsabilité… Ainsi, dans mon rêve, le faisions-nous profiter de notre triste expérience de la clinique judiciaire. Car étions-nous encore des juges ? Je ne sais ! mais nous nous faisions pardonner ce nom-là en étant aussi craintifs et anxieux de l’erreur dans l’éclat public des enquêtes que les plus grands savants dans la clarté des laboratoires ! Quel rêve ! Quelle nuit devant ce cadavre et quel silence !… Quel retentissant silence ! J’entendais la voix de l’ancêtre qui t’a ordonné, à toi, Jean, de dénoncer le passé, qui me commandait, à moi, d’annoncer l’avenir ! « Toute la nuit du passé, me criait-il, est pleine de ce mot : le châtiment ! Qu’importe que l’on ait aboli la torture et qu’on supprime demain la peine de mort si toute la loi humaine continue à être viciée par ce mot de droit divin : le châtiment ! Brise donc la loi antique et, sur la table de la loi nouvelle, écris le mot : régénères !… » Ah ! Jean ! je suis sorti de cette chambre ivre de force et d’espérance. Moi, si faible, moi, infirme, je me sentais devenir droit, et beau ; et invincible. L’ancêtre, pour racheter son crime me donnait la force de Samson, me conduisait lui-même dans leur palais obscur que je secouais d’une épaule tellement forte que, par les crevasses « Ils » voyaient enfin apparaître un rayon du grand soleil des cieux !

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