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Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 1.djvu/108

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LE CHÂTEAU NOIR

nommait au fur et à mesure qu’ils défilaient et allaient se ranger au fond de la pièce ; il y eut encore deux bouffons qui s’essayaient à des farces grossières, des porteurs de lanternes magiques, un iman.

Puis encore un détachement de chevaliers à la ceinture noire, puis deux énormes et flasques matrones au visage recouvert qui amenaient par la main une jeune femme, au corps svelte sous la robe de mousseline et dont il était impossible de voir la tête tant celle-ci était enveloppée des replis d’un immense voile blanc.

Derrière ces trois femmes, d’autres se montrèrent qui n’étaient nullement voilées. C’étaient les esclaves et les danseuses commandées pour la fête.

Elles tenaient à la main des instruments de musique comme le sautour, le psaltérion aux cordes de métal, le dairé (tambour de basque garni de lames de laiton), le sinekeman ou viole d’amour, originaire d’Italie. Une harpe fut apportée par un eunuque.

Comme la jeune femme à la tête voilée était arrivée en face de Kara Selim, elle s’inclina profondément devant son maître, mais celui-ci se leva, et, la prenant des mains des matrones, la fit asseoir à son côté.

Que dire des sentiments de Rouletabille quand il vit passer à quelques pas de lui cette femme qu’il savait être Ivana ? Il s’était placé en avant du divan pour qu’elle l’aperçût si possible, pour qu’elle vit tout de suite qu’il était là, qu’il ne l’avait pas abandonnée ! Mais quelle imprudence pour un homme qui, tout neuf à l’amour, n’avait pas appris à commander à l’agitation de son âme ? Si Kara Selim avait surpris dans le moment l’éclat de ce regard, la fièvre qui y brûlait, il aurait été renseigné sur le hasard qui lui avait amené, la veille de ses noces, ce jeune voyageur.

Mais Kara Selim était tout à la cérémonie.

À l’air des joueurs de flûte avait succédé une chanson lente, bizarrement modulée : la mélodie presque aiguë aux premières syllabes des vers, descendait par des tran-