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DU SANG !… DU SANG !…

sur sa chère santé et sur celle de son oncle et qu’elle ne sorte point de chez elle avant mon arrivée qui n’est plus qu’une question d’heures. »

« Je trouve cette dépêche inquiétante, dit Rouletabille.

— Bah !… Vous savez, il voit toujours tout en noir, Athanase Khetew… » répliqua Ivana.

Le reporter lui demanda encore à voix basse :

« Sait-on où il habite, votre Pomak ?…

— Mais vaguement… entre l’Istrandja et la mer Noire… Il disparaît pendant des années… On le signale à Andrinople.. Il paraît de temps en temps en Bulgarie… Il vient sans doute voir si je suis là… et puis, on n’entend plus parler de lui. »

Et comme, en signe d’affection et de protection, Rouletabille serrait la main d’Ivana qu’elle lui avait abandonnée, elle l’entraîna…

« Venez, dit-elle, venez ! Il faut que vous sachiez comment mes parents sont morts… »

Elle souleva une portière et ils quittèrent le salon sur lequel Rouletabille jeta un dernier regard. Tous ces personnages si calmes et si corrects qui faisaient autour des tables tous les gestes de la civilisation, il les voyait maintenant dépouillés et nus, sanglants, déchirés par le fer rouge des anciennes guerres et des luttes civiles, atroces, s’assassinant au nom de la patrie pour laquelle ils étaient prêts à mourir ensemble, et à trahir ensemble ! Civilisation et moyen âge ! Étrange, trompeur, cruel, attirant et repoussant mélange de l’hypocrite et bourgeoise politesse de l’Occident et des instincts barbares de l’Orient !

Ivana lui fit traverser une pièce sombre où une unique lampe semblait n’avoir été laissée là que pour éclairer un portrait de Stamboulov jeune. Elle le lui montra. Sous ce portrait, il lut ces lignes signées de Zacharie Stoianov : « On l’appelait l’écolier, mais sa parole ardente, sa résolution inébranlable, ses chansons patriotiques touchaient les plus endormis. La fatigue, la faim, l’esclavage, la mort n’étaient rien poux lui. »