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LE CHÂTEAU NOIR

s’était habillée magnifiquement… il devait y avoir gala à la maison. Voyez la robe… dans quel état… les bandits… Il faut vous dire qu’ils l’ont traînée par sa robe jusqu’à la fenêtre… quand elle fut morte… Ils voulaient jeter son cadavre à la populace. Ma petite sœur et moi nous criions, vous pensez !…

— Comment, Ivana ! Vous étiez là !

— Ici, répondit-elle, en montrant un angle de la vaste pièce… ma petite sœur et moi nous nous étions réfugiées derrière ce fauteuil…

— Vous ne m’aviez jamais dit que vous aviez une sœur !

— Eh bien ! apprenez-le ! Elle est morte ! Oui, à Constantinople : on l’a jetée dans le Bosphore.

— Dans le Bosphore ?

— Oui, dans un sac de cuir, il paraît… Vous comprenez, nous ne pouvons pas être sûrs… Enfin, on nous a dit… Pauvre petite Irène !… Pourquoi me regardez-vous comme ça ?… Rappelez-vous, l’an dernier, la visite que je reçus à la Pitié, d’Athanase Khetew…

— Oh ! je me rappelle parfaitement la visite du Hun.…

— C’est cela… j’ai pris le deuil alors. Il venait m’apprendre la mort de ma sœur.

— Comment ! on jette encore des femmes dans le Bosphore, enfermées dans un sac de cuir ?

— Oh ! il y a huit ans et nous ne l’avons su que l’an dernier. Vous comprenez, ils n’envoient pas de lettres de « faire-part »…

Et elle ne plaisantait certes pas en prononçant cette extraordinaire et inattendue phrase. Elle était derrière le fauteuil, maintenant, celui qui l’avait cachée un instant aux regards des assassins, quand elle avait six ans.

« Quelle scène ! petit ami, quelle scène ! Nous étions venues avec notre vieille gniagnia russe pour admirer la toilette de maman. Assassinée aussi la vieille gniagnia. Oh ! tout cela a été très rapide, écoutez, Stamboulov, brave comme un glaive, ne prenait aucune précaution.