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Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 1.djvu/31

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NUIT D’ORIENT

C’est la sentinelle qui gît là, assassinée… Rouletabille, le cœur serré d’un horrible pressentiment, s’élance…

Quelle abominable chose se passait, en ce moment, quelle ? Cependant l’alarme a dû être donnée, puisque des officiers sont accourus. Rouletabille les a vus disparaître dans la maison, de ses yeux. Pourvu qu’ils arrivent à temps ! Il bondit derrière eux, à travers le jardin lunaire, sans pouvoir retenir un rauque gémissement. Il pense à Ivana et à cette horrible histoire qu’elle lui a dite. Toutefois il s’efforce de se persuader que le cri qu’il a entendu tout à l’heure n’est point un cri de femme. Il le désire tellement ! Si ce cri était d’elle, maintenant elle est peut-être morte !

Dans le moment qu’il allait franchir le seuil obscur de la maison, une faible lumière s’alluma à une fenêtre, au rez-de-chaussée, à gauche. Il y courut. Il allait donc savoir tout de suite ce qui se passait. Il regarda. La fenêtre était entr’ouverte : c’était une pièce de service, nue, assez sale, munie, au centre, d’une cheminée élevée de quelques pouces au-dessus du sol. Tout près étaient rangés les petits pots en cuivre servant à faire le café. Détails infimes que saisit le regard qui ne les cherche pas et que garde à jamais la mémoire aux minutes terribles de la vie. Rouletabille devait avoir longtemps aussi dans l’oreille le bruit de l’eau de la fontaine qui venait frapper, goutte à goutte, la dalle de pierre. Et cependant il resta là une seconde ! Les gens qui étaient là ne remuaient pas. Silence et immobilité. Un Albanais sauvage, poudreux, avec ces airs de vagabond gardent presque toujours les gens de cette race, quand ils n’ont pas d’emploi régulier, la ceinture garnie d’armes étranges, l’œil vif, les bras croisés, semblait attendre des ordres, être là aux aguets, ainsi que deux Turcs, dans ces vêtements de coton rouge et jaune qu’ils affectionnent dans les Balkans ; sur leurs épaules, à tous trois, étaient jetées des capotes de soldats bulgares, dans lesquelles ils avaient dû s’envelopper, se déguiser pour pénétrer jusque-là !