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NUIT D’ORIENT

Ils écoutèrent, immobiles, des minutes éternelles…

Et puis, Rouletabille, malgré qu’elle le retînt encore, fit glisser la porte, souleva la tapisserie et regarda…

L’aurore, la blême et honteuse aurore éclairait le hideux spectacle… Ici, le corps de l’officier d’ordonnance, la face contre terre, roulé dans un coin, là, le cadavre haché de Vélio… du sang partout… un désordre épouvantable, des meubles renversés… les rideaux des fenêtres arrachés, les fenêtres ouvertes, les vitres brisées… le silence… la mort… et le silence… Le reporter risqua quelques pas dans cet horrible domaine… Pâle comme un spectre, comme l’image de la mort elle-même, Ivana le suivit. Ils s’arrêtaient… écoutaient… épiaient. Oui, en vérité… persuadés qu’il n’y avait plus personne à tuer ni rien à voler, les misérables avaient abandonné ce champ de massacre…

« Allons chez le général », souffla derrière lui Ivana…

Rouletabille se retourna et reprit Ivana dans ses bras. Elle était à bout de ses forces et peut-être de son sang… Le jeune homme crut qu’elle allait mourir… mais elle rouvrit les yeux et ses lèvres répétèrent :

« Chez le général… »

Et, de sa main défaillante, elle lui indiquait le chemin qui conduisait à la chambre des reliques.

« C’est la voix de mon oncle qui m’a avertie, expliqua-t-elle. Mais il a poussé un tel cri qu’il doit être mort. Allons voir… »

Et soudain, dans ce silence sépulcral, au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de la chambre des reliques, un gémissement se fait entendre et grandit… ce sont des faibles appels… bien faibles… bien bas… bien mourants… mais répétés inlassablement et tout à fait lugubrement… Oh ! l’appel lugubre de cette voix qui meurt !…

Enfin ils sont arrivés à la porte, Rouletabille, toujours portant Ivana, qui a dressé sa tête pâle et dont les yeux, sous les paupières lourdes, ont retrouvé un nouvel éclat.

La voix du général ! Elle la reconnaît.