Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 1.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
LE CHÂTEAU NOIR

Mais ils n’ont pas fini d’assassiner, non ! et la preuve en est que voilà revenu Vélio !

Celui-ci n’est pas encore mort…

On l’a traîné de la cave au grenier, et le voilà de retour dans cette pièce. Il est jeté presque contre la cloison.

Il tombe à genoux et demande grâce, pitié !

Il jure qu’il n’a pas vu sa maîtresse !… qu’il ne sait rien ! qu’il ignore tout de cette maison !… qu’il vient d’arriver des champs !

Il supplie qu’on lui laisse la vie !…

On lui laisse cinq minutes pour se décider…

Mais il ne parle pas ! il ne parle pas ! Il fait des grands signes de croix orthodoxes et, tout à coup pousse un horrible cri à cause d’un coup de sabre qui lui entre dans la poitrine…

On l’entend qui râle sur le plancher, qui se traîne… et l’on entend les coups de pointe dont il est lardé, cloué sur le plancher !…

Rouletabille voudrait s’élancer, défoncer les murs ; toute sa jeunesse répugne à cette passivité à deux pas d’un vieux serviteur que l’on assassine et qui meurt pour Ivana, mais aussi pour lui,

Ivana le sent prêt à bondir, mais elle le retient d’une étreinte forcenée.

Elle le presse sur son cœur, sur sa gorge haletante et, pour le vaincre et le sauver, à deux pas des assassins, elle lui donne, de sa lèvre ardente, enfiévrée, son premier baiser d’amour, parmi son sang, ses longs cheveux humides, baiser débordant de désespoir et de tendresse sauvage, d’étrange, mais de chaste volupté à cause de la mort qui regarde ce baiser-là…

Quand ils purent respirer et que leurs bras s’amollirent, toute la nuit qui était autour d’eux et toute la maison gardaient un immense silence. On eût dit que ce baiser avait commandé le silence… et que c’était lui qui avait fait fuir la horde !…

D’abord, ils ne purent croire à leur bonheur.