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Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 2.djvu/102

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LE CHÂTEAU NOIR

« Saprelotte ! fit Rouletabille, il a engraissé !… »

Et ils restèrent stupéfaits devant un grand corps d’homme étendu à la place même où jadis se trouvait le squelette et qui avait, comme lui, l’anneau de fer au pied.

L’homme était solidement ligoté et bâillonné d’un linge tout maculé de sang qui lui couvrait entièrement la face.

« Voilà, par exemple, la plus curieuse aventure qu’il nous soit encore arrivé, exprima Rouletabille, tout pensif. Qui est-ce que ça peut bien être ? »

Et rapprochant sa lanterne de la tête, il souleva le linge.

Un seul cri s’échappa de leurs trois bouches :

« Gaulow !… »

C’était bien Gaulow qui était là, son grand corps tout ganté de noir, et sa grande épée au côté !… sa grande épée à deux tranchants, son épée de bourreau dont il n’avait pas pu se servir ; et l’on comprenait tout de suite pourquoi l’homme ne s’était pas défendu. Le sang qui lui couvrait le visage et qui le rendait terrible à regarder venait d’une blessure faite sur la tête avec un instrument contondant. Gaulow avait été assommé par surprise, mais il n’était pas mort, car, presque aussitôt, sous l’éblouissement des rayons de la lanterne, il ouvrit les yeux, mais il les referma d’épouvante.

Une furie — Ivana — se jetait sur lui, lui enfonçait ses doigts dans la gorge et lui crachait au visage toutes les injures et toute son horrible haine.

Comme une bête, elle ensanglantait ses ongles à cette proie ; on eût pu croire, à voir sa mâchoire s’avancer si près de Gaulow d’une façon hideuse, qu’elle allait s’en repaître.

Rouletabille, devant l’abominable spectacle d’Ivana accrochée à cette dépouille à demi morte, recula, s’appuya à la muraille et détourna la tête.

Un chien dévorant un cadavre lui eût inspiré moins de répulsion.