Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 2.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LE CHÂTEAU NOIR

pit et grouille la marchandise humaine. Mais quand il n’y a pas de galerie, les piliers, carrés et trapus, édifiés en épaisse maçonnerie, sont tout de même là. C’est autour d’eux que les lots d’esclaves étaient autrefois groupés, poussés à coups de fouet. Maintenant que la vente se fait avec une discrétion louable, même dans les parties les plus reculées du monde musulman, et le plus souvent hors du marché, ces piliers ne sont plus généralement considérés et visités que comme des objets historiques.

À la Karakoulé cependant, le marché aux esclaves servait encore, puisque Rouletabille, du haut de son observatoire, ne tarda pas à voir apparaître, sur sa gauche et sur sa droite, une double troupe ou plutôt un double troupeau humain qui sortait de deux voûtes romanes, obscures et basses, trouées dans les murs, et dont les grilles venaient d’être ouvertes par des serviteurs.

En même temps survenaient, avec quelques officiers, le seigneur Gaulow lui-même et l’eunuque Kasbeck. Gaulow était tout en noir, comme la veille. Une grande épée lui pendait au côté, et, de temps à autre, il s’appuyait, des deux mains, sur son pommeau, comme font les bourreaux dans les vieilles estampes. Kasbeck était tout en blanc, comme nous l’avons vu. Il n’avait pris que le temps de descendre de mule. Il paraissait fort irrité et semblait ne point vouloir entendre raison sur tout ce que lui disait le maître du Château Noir.

Pour qu’ils continuassent à discuter ainsi en public, et pour qu’un eunuque de l’éducation de Kasbeck laissât voir aussi ostensiblement sa mauvaise humeur, il fallait que la cause de leur querelle fût bien importante.

Si Rouletabille n’avait pas assez d’yeux pour voir, il eût voulu avoir encore de plus grandes oreilles pour entendre. Mais sa bonne fortune le servit encore. Sans doute, pour ne pas être compris de ceux qui les entouraient, Kasbeck et Gaulow se querellaient en français et quelques éclats de leur ardente conversation parvenaient jusqu’aux créneaux derrière lesquels le reporter se dissimulait. Aux