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Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 2.djvu/15

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OÙ L’ON VOIT APPARAITRE…

dre raison !… Tenez !… Il y en a deux, là, que je vous ai gardées pour la bonne bouche… »

Ce disant, il fit un signe et on fit avancer devant un pilier, au premier rang, deux femmes qui étaient entièrement enveloppées dans leur feradje et dont la figure était invisible sous le yasmak…

« Ce sont des princesses, celles-là… Vous entendez !… de vraies petites princesses… les filles d’un agha en disgrâce dont nous avons surpris la caravane aux environs de Sour… Tenez ! regardez-moi ça !… »

Et le geste de Kara Selim repoussa au fond de la cour ses officiers et les serviteurs. Il ne resta près d’eux que l’un des eunuques de service qui souleva le yasmak des deux petites princesses. Rouletabille aperçut deux adorables figures, au teint pâle, aux grands yeux noirs très tristes, qui se laissaient dévisager comme des choses mortes, sans un mouvement de recul ou de révolte…

« Et les dents ?… Voulez-vous voir les dents ? »

Gaulow leur fit ouvrir la bouche…

« Elles n’ont pas plus de quatorze ans, vous savez !… »

Mais Kasbeck haussa les épaules, et, pour bien montrer qu’il en avait assez de cette comédie, cracha par terre. Du coup, Gaulow pâlit.

L’injure était forte. Un autre que Kasbeck l’eût payée sur l’heure. Mais sans doute Kara Selim avait-il de bonnes raisons pour se contenir car il se tourna d’un autre côté, comme s’il n’avait rien vu.

« Alors, vous ne m’achetez rien, Kasbeck, c’est bien entendu ? »

Il n’attendit point la réponse pour ordonner le départ des esclaves qui reprirent le chemin obscur des grilles, avec docilité. On n’avait même pas regardé les hommes. Ceux-ci s’étaient tenus en tas, dans le coin opposé de la cour, à peine visibles sous la galerie. Ils n’étaient point nombreux, mais les spécimens que Rouletabille put apercevoir étaient superbes : des nègres d’Éthiopie, quelques Abyssins, de beaux mulâtres…