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Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 2.djvu/162

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LE CHÂTEAU NOIR

— Messieurs, voici la salade, annonça Modeste.

— La salade aux géraniums ? demanda Rouletabille.

— Non point, monsieur, la salade aux capucines !… J’ai déniché quelques touffes de capucines entre les vieilles pierres de la plate-forme du donjon ; elles poussaient mélancoliquement sur la corniche extérieure ; j’ai risqué ma vie, messieurs, pour vous les apporter !… Messieurs, songez que ces capucines eussent pu être teintes de mon sang ! J’ai préféré vous les servir à l’huile et au vinaigre !… Et vous m’en donnerez des nouvelles !… »

En effet, de l’avis de tous, cette salade était exquise et il n’était point besoin, du reste, d’être enfermé dans un vieux donjon pour apprécier la salade aux capucines.

« Avez-vous songé au moins à nos fidèles gardiens ? demanda Rouletabille.

— Oh ! ils ont tout ce qu’il leur faut, déclara Modeste… Tondor en haut et le katerdjibaschi en bas se régalent, je vous prie de le croire…

— Mais enfin me raconterez-vous ?…

— Mange et bois, Rouletabille, et n’en demande pas davantage… fit La Candeur.

— Mais encore ?…

— La curiosité perdra l’homme comme elle a perdu : la femme… émit Vladimir.

— Puisque nous gardons « tout le crime » pour nous ! exprima Ivana…

— Hein ? Quel crime ? »

Rouletabille n’avait plus faim, plus soif… il était déjà debout…

« Que notre conscience, seule, reste chargée du forfait !… dit La Candeur d’une voix quasi lugubre.

— Mais que nos estomacs digèrent ! souhaita Vladimir. Garçon, ne m’oubliez pas, s’il vous plaît. »

Tout à coup, on vit Rouletabille chanceler. Il dut s’appuyer à la table pour ne pas tomber. Une idée épouvantable venait de lui briser les jambes. Il ne se soutenait plus qu’à peine.