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Page:Leroux - Le Château noir, 1933, Partie 2.djvu/31

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LES NOCES D’IVANA HANOUM

Au même instant, une pluie de pièces d’or et d’argent tomba sur les têtes des spectatrices, qui se roulèrent les unes sur les autres dans leur impatience d’en attraper quelques-unes. Cet empressement n’était point dû à la cupidité, mais au fétichisme. Cet argent, en effet, est tenu en grande considération, en Turquie, parmi les gens superstitieux, et, là-bas, tout le monde l’est plus ou moins. On dit que ces pièces de monnaie portent bonheur ; aussi les garde-t-on aussi longtemps que possible, de manière à ne pas laisser échapper la bonne chance.

La cérémonie de la pluie d’or terminée, Kara Selim offrit son bras à Ivana, qui y appuya, en tremblant légèrement, le bout de ses doigts ; et il donna l’ordre à la yen-khieh-kadine de les précéder dans la chambre nuptiale.

En comprenant que Gaulow la conduisait déjà dans son appartement, Ivana se sentit tout à coup si faible qu’elle dut s’appuyer davantage sur le bras qui la dirigeait. L’époux crut à une tendre pression de celle qui allait devenir sa femme, et il la lui rendit avec amour.

Ivana était défaillante.

Si le voile rose qui l’enveloppait n’avait point caché son visage, Kara Selim et les assistants auraient été épouvantés de sa pâleur.

Allait-elle avoir la force de suivre jusqu’au bout l’héroïque et terrible programme qu’elle s’était tracé ? Elle avait accepté d’avance le sacrifice avec une sorte de divine allégresse qu’ont dû connaître les martyrs ; pas une seconde, elle n’avait pensé qu’il lui était possible d’hésiter entre son honneur, sa vie, son amour et le salut de la patrie. Puisqu’elle ne pouvait connaître le secret du coffret byzantin qu’en se donnant à cet homme, qui avait été le bourreau de sa famille, elle lui avait dit :

« Je serai à toi !… »

Mais voilà que l’heure étant venue de se donner, il lui semblait qu’elle n’allait plus avoir que la force de mourir !…