belle pour l’objet aimé ?… Je vous jure que je n’en ai pas souri !… Non ! ce soir-là en vous voyant sortir de la chambre de votre mari, j’en ai été épouvanté !… j’ai été épouvanté parce qu’un grand voile qui couvrait mes yeux et que vous aviez mis sur nos yeux, à tous, a été déchiré !… Une femme, par son attitude extérieure, touche à l’ange !… Elle représente une si pure vertu qu’elle n’appartient plus à la terre !… Elle le dit à qui veut l’entendre… Elle le répète avec extase… elle n’est plus qu’une pensée et qu’un cœur !… Sa pensée comprend tout !… son cœur pardonne tout !… Roland, pour elle, a cessé d’être un homme, que lui importe, pourvu qu’il vive avec son cerveau ? Nous l’avez-vous assez fait entendre cette phrase !… Eh bien cette femme ment !… Cette épouse extra-terrestre, cette collaboratrice qui ne prétend connaître que l’œuvre immortelle à laquelle elle travaille à côté du génie, ce pur esprit, cette noble intelligence, cette divine organisation qui confond dans un même culte l’amour platonique et l’amour de la science, tout cela ment, tout cela râle de désespoir parce qu’on ne l’embrasse plus comme au lendemain de ses noces… et tout cela rugit sous son masque de céleste indifférence quand un sourire s’égare !
— Et tout cela se tue, c’est vrai !… Après monsieur ?
— Et tout cela se tue… c’est votre droit, vous l’avez dit ! mais là où vous dépassez votre droit, c’est lorsque vous venez chercher dans un ménage qui ne connaît que la paix et le bonheur, une victime pour la jeter au milieu de vos machinations ténébreuses, c’est lorsqu’au lendemain de cette nuit où vous vous étiez si inutilement parée, vous concevez ce projet abominable de vous tuer dans des conditions telles qu’on puisse croire que vous êtes tombée assassinée par votre époux !… Ah ! laissez-moi finir ! Madame !… madame !..… c’est avec son revolver que vous allez vous frapper devant sa porte en prenant soin de crier : Roland ! assassin ! assassin !
— J’ai crié : à l’assassin ! râla Mme Boulenger.
— Pourquoi auriez-vous crié : À l’assassin ! puisque personne ne vous assassinait !… Je prouverai quand vous le voudrez que le prince Henri était déjà mort, lorsque vous essayiez de mourir !… Mais vous vouliez mourir en perdant Roland !… et la preuve, madame, je vais vous la donner, irréfutable : Au lendemain de cette nuit qui avait transformé votre folie d’amour en une folie de haine… vous écriviez à une de vos amies de Paris, à Mme de Lens, une lettre… une lettre qui la faisait accourir au Havre en apprenant, deux jours plus tard, le drame… Dans cette lettre vous lui disiez textuellement, : « Maintenant il me hait.. j’ai lu cela dans ses yeux… Il me voudrait morte !… Attends-toi à quelque drame effroyable !… Moi je m’y attends et je suis prête !… Si tu apprends ma mort, dis-toi bien que c’est lui qui m’a tuée ! »… Mais vous n’en mourûtes point !..… et lorsque Mme de Lens vous vit à Sainte-Adresse, vous lui montrâtes votre époux à vos genoux… À cette heure-là, vous croyiez l’avoir reconquis !… et vous acceptiez la légende qui était déjà établie autour de vous quand vous rouvrîtes les yeux… de la tentative d’assassinat par Henri II d’Albanie !
Quel silence ! Un silence affreux qui attendait quelque chose de cette femme, cramponnée à la barre, comme au bord d’un abîme… et ce quelque chose ne vint pas !…
Rouletabille, implacable, reprit :
— Et maintenant en voilà assez pour cette première « histoire »… passons à la seconde ! Je n’ai plus, du reste, que quelques mots à en dire !… quand je revins au Havre, j’étais sûr que c’était vous qui aviez tout fait à Passy comme à Sainte-Adresse. Il ne me fallait plus que des preuves et je résolus de les acquérir en y mettant tout le temps nécessaire et en vous trompant comme vous aviez trompé tout le monde !… Quelle victoire pour moi que le geste qui vous faisait apporter à la villa de Passy l’anneau d’esclavage que vous aviez trouvé à la villa de Sainte-Adresse !… quel aveu !… Enfin, j’avais cette lettre signée Roland Boulenger, cette lettre qui appelait Théodora Luigi ! cette lettre que les experts nient être de votre mari ! Elle ne pouvait être que de vous !…
— Mensonge !… Invention !… folie !… râla ardemment Mme Boulenger qui ne regardait plus Roulelabiile…
— Madame… j’ai la preuve ici, que vous avez essayé maintes fois d’imiter l’écriture de votre mari… et j’ai mieux que cela !… j’ai ici… recollés… reconstitués… les essais successifs de cette imitation d’écriture et de cette lettre… Monsieur le Président… ouvrez cette enveloppe… je vous jure que madame n’aura plus rien à dire !
Et Rouletabille fixait Mme Boulenger comme s’il voulait l’hypnotiser pendant