Page:Leroux - Le Fauteuil hanté, Lafitte, 1900.djvu/349

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dans le silence de tous, que vous pouvez perdre comme le plus simple des hommes.

Il râla :

— Je ne puis pas perdre…

L’intérêt de la partie atteignait à son maximum d’intensité. Un seul point de part ou d’autre et l’un de nous avait gagné ! Si je tournais le roi, la partie était finie et je gagnais douze mille francs à cet homme qui prétendait ne point pouvoir perdre. Pendant que je donnais, une anxiété générale nous tenait tous muets. On n’entendait que le tumulte du vent, qui, dehors, ébranlait le manoir jusque dans ses fondements. J’avais donné. Il me restait à retourner la carte qui allait indiquer l’atout. Je tournai le roi !… le roi de cœur ! J’avais gagné !

Le gentilhomme poussa un cri d’allégresse qui nous déchira le cœur, tant il ressemblait à un cri de désespoir. Il se pencha sur la carte, il la prit, il la considéra, la palpa… Il l’approcha de ses yeux, et nous avons pu croire qu’il l’approcherait de ses lèvres… Il murmura :

— Est-ce bien possible, mon Dieu !… Alors ?… Alors j’ai perdu ?…

— Il paraît, dis-je, en essayant de sourire…

Mais la joie de notre hôte était si pénible que nous n’eûmes pas le courage de triompher.