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Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/74

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Tous les académiciens seront là ! Vous entendez : tous !… tous veulent marquer, par leur présence, la particulière estime dans laquelle ils vous tiennent. Il n’y a pas jusqu’au grand Loustalot lui-même qui n’ait annoncé qu’il assisterait à la séance, bien qu’on le voie rarement à ces sortes de cérémonies, car le grand homme est fort occupé et il ne s’est dérangé ni pour Mortimar ni pour d’Aulnay, ni même pour Martin Latouche, dont la réception avait pourtant suscité la plus extrême curiosité.

— Ah ! oui ! fit M. Lalouette, qui parut aussitôt assez embarrassé, M. Loustalot sera là !…

— Il a pris la peine de me l’écrire.

— C’est très gentil cela…

— Qu’est-ce que vous avez, mon cher Lalouette ? Vous semblez ennuyé…

— Eh bien, oui, c’est vrai !… reconnut M. Lalouette… Oh ! ce n’est sans doute pas bien grave… mais je ne me suis pas bien conduit avec le grand Loustalot…

— Comment cela ?…

— Dans le temps, je suis allé, bien avant de poser ma candidature… je suis allé chez lui pour demander ce qu’il fallait croire des secrets de Toth et de toutes les balançoires ayant rapport à la mort de Martin Latouche. Très catégoriquement, il s’est moqué de moi et l’opinion de ce grand savant, bien qu’elle eût été exprimée en des termes d’une vulgarité qui me choqua, fut pour beaucoup dans ma résolution de me présenter à l’Académie.

— Eh bien, mais ! je ne vois pas là de quoi vous mettre martel en tête…

— Attendez ! mon cher secrétaire perpétuel, attendez !… quand j’ai eu posé définitivement ma candidature, j’ai fait une visite, n’est-ce pas ?

— Bien entendu ! C’est d’un usage auquel on ne saurait manquer sans faire preuve de la plus grande impolitesse… d’autant plus que l’Académie elle-même n’avait pas hésité à se déranger la première, j’ose à peine vous le rappeler, mon cher M. Lalouette…

— Oui, eh bien !… cette première impolitesse, je m’en suis rendu coupable vis-à-vis de l’homme qui avait en quelque sorte le plus de droit à ma reconnaissance… Je n’ai point fait de visite au grand Loustalot !…

M. Hippolyte Patard bondit…

— Comment ! Vous n’avez point fait de visite au grand Loustalot ?….

— Ma foi non !…

— Mais, monsieur Lalouette, vous avez contrevenu à toutes nos règles !…

— Je le sais bien !

— Cela m’étonne d’un homme comme vous !… Vous avez insulté l’Académie !…

— Oh !… Monsieur le secrétaire perpétuel… telle n’était point mon intention…

— Et pourquoi donc, Monsieur Lalouette, n’avez-vous point fait sa visite au grand Loustalot ?

— Je vais vous dire, Monsieur le secrétaire perpétuel… C’est à cause d’Ajax et d’Achille qui sont deux gros chiens qui me font peur et aussi du géant Tobie dont la vue n’est point rassurante…

M. Hippolyte Patard poussa un « ah ! » d’ineffable stupéfaction.

— Ah !… un homme si brave !…

— C’est que, reprit le malheureux, qui baissait assez piteusement la tête, c’est que si je ne m’épouvante point facilement des chimères… je redoute assez la réalité. J’ai vu les crocs, qui sont solides, et aussi j’ai entendu les cris…

— Quels cris ?

— D’abord les cris des chiens qui hurlaient à la mort… et puis, à plusieurs reprises, comme un grand cri déchirant humain !…

— Un grand cri déchirant humain ?…

— Le savant m’a dit que ce devait être là le cri de quelque maraudeur qui se battait sur le bord de la Marne… Ma foi, il criait comme si on l’assassinait… Le pays est désert… La maison est isolée… Tant est que je n’y suis point retourné…

M. Hippolyte Patard, pendant ces derniers mots, s’était assis à une table et consultait un indicateur.

— Allons ! dit-il.

— Où ça ?

— Mais chez le grand Loustalot !… Nous avons un train dans cinq minutes… Comme ça, il n’y aura que demi-mal, puisque vous n’êtes officiellement reçu que demain !…

— Bah ! fit Lalouette, ça n’est point de refus !… Avec vous, ça va !… vous les connaissez, les chiens ?

— Oui, oui… et le géant Tobie aussi.

— Bravo !… Et nous dînerons au petit restaurant de la Varenne, à côté de la gare, en attendant le train qui nous ramènera.

— À moins que Loustalot nous invite, fit M. Patard… chose très possible, s’il y pense !…

Ils s’apprêtèrent à descendre et à courir à la gare de Vincennes qui est toute proche.

À ce moment, la sonnerie du téléphone retentit à côté d’eux.

— Ce doit être Mme Lalouette, fit le nou-